Pétrin – où l’on se perfectionne, encore et encore
Ce retraité qui part par le premier train, c’est Robert, l’ami de Rose. Depuis qu’il s’est remis à boulanger, sur son balcon, dans le jardin de Mathilde et sous le chapiteau bleu, il n’a de cesse de parfaire son art, de trouver les meilleures farines des alentours, de renouer avec les gestes et les objets d’antan – pétrin en bois, bannetons en osier toilés de lin, fours à bois à chaleur directe, indirecte, avec ou sans gueulard, techniques de chauffe, types de feux et de bois – de retrouver de vieilles recettes, d’apprendre, de partager. N’étaient ses cheveux blancs et ses rides profondes, on pourrait le prendre pour un apprenti modèle, levé le premier, couché le dernier.
Avec le naturel qu’on lui connaît, Alcide a mis Robert en lien avec Eric et Célestine, Roger et Vera, sans oublier le boulanger et la boulangère du bourg, qui se font vieux eux aussi. Les jours où il se rend au bourg sont jours de vacances pour Robert, pourtant il part tôt et revient tard, travaille beaucoup entre deux, mais il apprend, perfectionne et partage, et ça lui rappelle les vacances avec son père, camping sauvage en bord de mer, ou de lac, ou de rivière; regarder, apprendre, essayer; de nouveaux noeuds, de nouveaux poissons, des rencontres, des repas partagés sur la braise, de délicieuses papillotes, des rires, les premiers verres de rosé. Il revit tout ça Robert, en boulangeant avec ceux du bourg, sous le chapiteau rouge et blanc devenu une véritable boulangerie de campagne distribuant du pain et des douceurs aux laissés-pour-compte; on boulange et on apprend, on boulange et on mange pendant que la pâte lève, et on boit, et on rit, et on contrôle la pâte, et on raconte des histoires, et on fait des projets, et on façonne, et on reboit pendant que la pâte regonfle dans les bannetons étoilés, car il fait nuit, et on grigne, et on enfourne, et on attend, et on défourne, et on reprend le dernier train, et si on le manque, on dort sur place en attendant le prochain train, celui du lendemain, et on rapporte des croissants à Rose, des croissants qu’on a fait soi-même, pour que Rose elle ne se fâche pas trop parce qu’on a découché à la campagne, sous un chapiteau rouge et blanc.
A demain.