Noir comme décembre
LE RÉVEIL
Elles ne sont pas les premières à fouler le sol du campement, des traces toutes fraîches partent de quatre des caravanes et se dirigent vers la cinquième. Elles n’ont pas besoin de frapper, la porte s’ouvre – entrez, soyez les bienvenues Mesdames.
– Bienvenue dans notre ville ! répond Mathilde.
– Bienvenue dans notre ville ! reprennent en choeur Marguerite, Paola et Rose.
Dans la caravane, quatre couples à l’heure du café et une femme, celle qui a ouvert la porte. On se serre autour de la table, on tend des tasses brûlantes aux nouvelles arrivées.
– Je suis Mariella. Nous sommes arrivés cette nuit, neuf adultes et dix enfants, nous sommes des Yéniches d’ici, las d’être refoulés de partout, alors nous sommes venus au coeur de cette ville, notre ville d’une certaine manière: des petits cousins à nous ont fondé la savonnerie qui était ici, le terrain sur lequel nous campons leur appartenait.
Les Yéniches se présentent et disent les prénoms de leurs enfants qui dorment encore dans les caravanes. Les femmes se présentent, parlent de l’association Vivre ici, parlent des Lumières de décembre, parlent du bistrot-épicerie, se font l’écho des propos qu’on y a échangés tout à l’heure autour du petit-déjeuner.
– Ainsi vous avez des forces pour nous aider? demande Mariella.
Les quatre femmes répondent en choeur, leur oui ressemble à un cri de guerre.
– Moins fort! dit un homme, on a repéré une voiture banalisée d’où il semble qu’on nous surveille.
– Qu’ils y viennent, on leur fera pire qu’au marché de Brive-la-Gaillarde! s’écrie Rose, puis elle entonne la chanson de Brassens.
– Du calme, Rose, du calme, tempère Mathilde, ne confondons pas force et violence, précipitation et réflexion; voici ce que je propose: Rose, tu vas chercher les hommes, on se retrouve ici; Marguerite et Paola, foncez Aux Yeux Fertiles et battez le rappel des troupes, réunion de crise là-bas à dix heures.
Douze paires de mains applaudissent à tout rompre, on entend même des hourras, mais personne ne dit – moins fort! A travers la fenêtre, Rose fusille du regard la voiture banalisée.
– C’est le ciel qui vous envoie! exulte Mariella.
– Non Mariella, je crois que c’est exactement l’inverse, répond Mathilde, c’est le ciel qui vous a envoyé pour voir si nous savons encore ce que la fête de Noël signifie!
– Et on va voir ce qu’on va voir! s’écrie Rose en se levant pour aller chercher les hommes.