Plus que 365 jours… (44/365)

Orangé comme février – XIII 

«La rue, les espaces publics et certains lieux y attenant furent mes premières classes – sans minimiser tout ce que j’appris dans mon Algarve natale, mais ces apprentissages du sud ne m’ont pas servi à grand chose lorsque, plus tard, je fus dans de vraies classes, ou alors ils me servirent à m’évader, ce qui n’était pas au programme, disait Fernando à Mathilde, dans la maison de celle-ci.

J’ai appris le calcul au marché et dans les commerces que nous fréquentions. Ma grand-mère me demandait de trouver la somme exacte de nos dépenses, de vérifier la monnaie qui nous était rendue, de déduire le prix d’un oeuf à partir de celui d’une douzaine, de compter le nombre de pastéis de bacalhau que l’on pouvait obtenir avec un escudo ; en cas de succès, je pouvais choisir une pâtisserie. Le soir, lorsque ma grand-mère avait oublié d’effacer mes moustaches éphémères avec son mouchoir brodé et humecté de salive, ma mère la grondait, prétendant qu’elle et ses chiffres me rendraient mastodonte – il est vrai que je ne me trompais guère. Les hommes, eux, me défendaient et inventaient des problèmes pour rire, problèmes dans lesquels je devais vider ou remplir des baquets à coups de trompe ; jamais je me fichais dedans – pourtant j’aime l’eau – et souvent je trouvais même l’âge du capitaine.

Dans les cimetières où ma grand-mère m’emmenait pour apprendre le nom des pierres, je devais dire combien de temps le capitaine avait vécu, ainsi que sa femme, calculer les intervalles entre les naissances de leurs enfants, l’âge de la mère, l’âge de la veuve et toutes sortes d’autres choses – joyeuses ou pas – qui disaient la vie de ces familles enfermées dans ces caveaux qui formaient ces allées de l’éternité.

Certaines vitrines étant pour les enfants plus transparentes que d’autres – ma grand-mère le savait bien –, lire correctement ne donnait droit à aucune récompense. Les premières enseignes que je sus lire furent padaria et pastelaria ; barbearia vint bien après. Dans les rues de mon enfance, les enseignes étaient variées et rédigées en portugais. Souvent, l’après-midi, ma grand-mère guidait mon doigt dans des livres qu’elle avait emprunté pour quelques heures dans des baraques que l’on trouvait dans les parcs publics. En rentrant d’un de ces après-midi de plein air, je lus sur le visage de ma mère qu’un drame s’était produit. On venait de passer l’équinoxe.»

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