Noir comme décembre – IX
Décembre est donc noir, surtout lorsqu’on descend par une échelle dans le voûtage d’une rivière qui a dû céder son lit à la ville, une rivière condamnée à murmurer toute seule dans le noir, un peu comme un passe-muraille coincé dans une nouvelle de Marcel Aymé.
C’est en pensant à Gaspard que Mathilde a eu l’idée d’organiser un moment avant l’aube au bord de cette rivière enterrée qui a donné son nom à la rue sous laquelle elle serpente maintenant à l’aveugle, recouverte de bitume; Gaspard aime aller au fond des choses, se demander ce qu’est une ville, ce qui la fait et ce qui la défait sans cesse. Pour l’instant il vogue à l’air libre, Gaspard, sur un fleuve en direction du nord, d’après ce qu’il lui a écrit – ils s’écrivent régulièrement, elle aime lire ses lettres, il aime recevoir les siennes en poste restante, elle vient de lui écrire à Rotterdam.
Ils sont une petite quinzaine, bottés de caoutchouc, à être descendu l’échelle métallique derrière le chef cantonnier qui fréquentait l’atelier de Mathilde lorsqu’elle était art-thérapeute; ils sont debout, deux groupes face à face, la rivière entre eux; ils font une haie d’honneur à la rivière, une haie silencieuse, une haie qui écoute l’écho du murmure. Puis une autre voix s’élève et se mêle à l’écho, celle de Mathilde qui se met à raconter l’histoire de la ville depuis ses origines, proches ou lointaines.
Dans les tréfonds de la ville on sent vibrer les rails qui l’ont fait naître et les flammes des lanternes se mettent à trembler.