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Noir comme décembre – IV

Ce qui se passe ici bien avant le lever du jour est totalement illégal, tout le monde est complice, même la police dont la présence se fait très discrète.

On se souvient qu’en mai, lors d’une fête dans le jardin de Mathilde il y avait deux policiers venus à titre privés; entretemps ils ont adhéré à l’association Vivre ici et ce matin ils ont à nouveau là à titre privé, mais ils ont fait en sorte que leurs collègues de service – et les pompiers, et caetera, et caetera – ne viennent pas troubler ce moment sous prétexte de fumée, de feu, et caetera, et caetera.
Fernando connaît bien ce genre de lieux, il y a travaillé presque quarante ans, il a gardé de nombreux contacts avec les hommes et les femmes jaune orangé, ces gens qu’on ne voit pourtant pas. Arturo a ouvert le chantier plus tôt que d’habitude, il en a le droit, il est chef de chantier.
Le bois qu’on a monté sur le toit la veille brûle maintenant dans des tonneaux transformés en braseros, non loin d’un petit sapin qu’on a fixé ici il y a quelques temps, un des ces sapins qui indiquent qu’un bâtiment est charpenté.
Pour quelles raisons une trentaine de personnes ont-elles bravé la nuit glaciale pour grimper de si bon matin sur le toit d’un immeuble de huit étages? Il y a sans doute un papillon là-dessous; on pourrait leur demander, mais ça gâcherait la fête – un peu comme des forces de l’ordre qui créeraient du désordre –, alors regardons et écoutons.
On fait cercle autour des braseros. Il y a ceux qui grillent de belles tranches de pain, ceux qui les tartinent et les distribuent accompagnées de boissons chaudes. Il y a ceux qui mangent et boivent. Il y a ceux qui parlent. Tous les écoutent, il y a Victor et Vadim, grutiers, Ricardo et Filippe – dit Pepe –, maçons, Gian Luca et Marielle, charpentiers. Pendant qu’on déjeune au grand air, la femme et les hommes jaune orangé parlent de ce qu’ils font pour qu’il y ait des toits avec des sapins dessus, ils parlent de ce qu’ils voient en construisant la ville et ceux qui déjeunent entendent sur leur ville des choses qu’ils ne savent pas de la bouche de ceux qui la fabriquent mais n’y habitent pas, car les loyers sont trop chers pour eux.

Lorsque le jour se lève, ceux qui ont déjeuné au grand air ne voient plus leur ville du même oeil.

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