Octobre est un foyard – XXV
La première histoire du capitaine ne fut pas sans conséquences, la seconde non plus, mais ça c’est une autre histoire, que l’on verra bientôt.
Sitôt le capitaine disparu avec le plateau – il a quitté la chambre en grommelant qu’il ramenait tout ça à la cambuse, comme un vieil ours qui cache mal ses émotions quand il a été touché, en l’occurence par les remerciements d’H&G –, ils se hâtent de s’habiller pour de vrai, rangent la chambre à la va-vite, ils ont les gambettes qui frétillent, sont en manque d’eau et filent droit direction Rhin et Moselle, le menu de leur journée; l’histoire du capitaine a introduit dans leur tête quelque chose de nouveau.
– J’ai adoré que tu m’apprennes à dériver dans cette ville, lui dit-elle, j’aime zigzaguer avec toi et je me disais, avant l’histoire du capitaine, que l’on pourrait serpenter le long du Rhin jusqu’à son embouchure, traverser le fleuve chaque fois que quelque chose nous attirerait sur l’autre rive, mais nous devrions d’abord trouver un moyen de traverser, pont, bac, câble, barque de pêcheur, canot de plaisance, ou peut-être même à la nage, mais c’était avant l’histoire du capitaine. Maintenant j’ai envie de voguer sur le Rhin, avec toi, de pouvoir nous arrêter où l’on veut, quand on veut, qu’en dis-tu?
– J’aime cette idée, et pas seulement parce qu’elle est de toi, j’ai peu voyagé sur l’eau mais le capitaine m’a inoculé un virus, j’aimerais naviguer, avec toi.
– Sur les eaux de la vie, pour le meilleur et pour le pire?
– C’est de l’humour? Sinon on fait arche séparée!
Eclats de rire au bord de l’eau.
– Mais j’y pense, et ton projet d’aller à pied le long du Rhin de sa source à Cologne, pour visiter ta famille, que devient-il? Vas-tu vraiment l’abandonner si près du but?
– L’essentiel je l’ai fait depuis les Grisons, le reste c’est dans la tête.
– Et si on faisait les deux, suggère-t-elle, marcher jusqu’à Cologne, à quelques jours d’ici, puis en bateau jusqu’aux Pays-Bas, qu’en dis-tu?
– Donnons-nous un peu de temps, profitons encore de cette ville-confluence, explorons-la un peu et on verra bien où ça nous mène; peut-être trouverons-nous un bateau depuis Koblenz, peut-être depuis plus loin, disons-nous que c’est l’occasion qui fera les larrons.
– Alors explorons et guettons chaque occasion d’embarquer, mon larron! Et ils s’embrassent comme on scelle un pacte.
Ils cherchent des bateaux sur le Rhin et la Moselle, mais ils ne trouvent que des formules: Quatre jours de rêve sur la Moselle, De Bâle à Amsterdam avec Monsieur Jardinier, D’une cave à l’autre sur la Moselle et le Rhin, et caetera, et caetera. De plus les bateaux sont laids – carrés et pas élancés pour deux sous – et les gens qui les renseignent sans classe – Le capitaine va adorer danser avec vous, Madame, vous êtes si élancée! et vous Monsieur vous adorerez souper à l’oeil au carré des officiers. Ils ne rencontrent aucun plaisancier amène, aucun pêcheur débonnaire, que des marchands de bonheur dépressifs et anorexiques.
– De toute façon je n’ai ni robe de soirée ni de vernis à ongles!
– Et moi, entrer dans un carré? ce serait la quadrature du cercle!
Eclats de rire au bord de l’eau.
Ils continuent à dériver dans la ville, se faisant à l’idée qu’ils quitteront Koblenz à pied.