Plus que 365 jours… (119/365)

Neige de mai – XXII

[Journal du marcheur — extraits]

J’assiste à l’orage de l’intérieur de l’hospice, devant une fenêtre grande ouverte, en compagnie d’Anton et de Franco, qui nous offre l’apéritif. On pourrait parler car on est seuls, mais comme au spectacle on reste muets ; aucun de nous trois n’ose interrompre les éléments déchaînés, les nuées de feu et les trombes d’eau, les percussions du ciel et les cadeaux de la terre, des fromages d’alpage de la région, du pain complet noirci par le feu et du Merlot tessinois. […] Franco veut m’offrir aussi le gîte, mais je décline, préférant dresser ma tente sous le ciel nettoyé par l’orage ; l’ami et l’ami de l’ami m’autorisent à camper, ce qui est d’habitude interdit en ces lieux. Autour du petit feu de camp — encore une chose que l’on m’autorise à titre exceptionnel — je partage avec Anton le casse-croûte préparé par Odile, qui a vu les choses en grand. L’omelette à l’ail des ours est un régal, une sorte de moelleux salé et aillé — pauvres œufs ! pourrait penser un vegan, et qu’avaient-ils donc fait pour qu’on les batte ainsi ? […] Anton me parle de ses projets de l’hiver, il dérivera vers l’Andalousie, envie de revoir de vieux amis. Prudemment je le sonde, seul ou à deux ? Il me montre alors, sur son téléphone chinois, un message reçu d’Odile, qu’il n’est pas sûr de comprendre. Je lui montre qu’entre les lignes Odile lui dit qu’elle ne le regarde plus avec les même yeux qu’avant. S’en suivent des propos surréalistes, entre humour et incrédulité. J’essaie ici de reproduire ce dialogue de mémoire.
– Grâce à Heinrika, Odile a  définitivement admis qu’Andreas n’était pas un gars pour elle et qu’aucun Calabrais ne viendrait l’enlever, la tristesse l’empêchait de voir ton amour, mais ses yeux sont maintenant ouverts.
– Tu crois vraiment ?
– Relis-donc le message !
– Oui, mais il est si sibyllin !
– L’amour te fais bégayer ! En fait, c’est de l’alsacien. Si elle te plait vraiment, cette solide cantinière, emmène-la à Cadix cet hiver !
– Moi, le simple cantonnier ?
– Chef cantonnier !
– Oui, mais cantonnier quand-même !
– Si j’étais cantinière je prendrais la route avec toi, mon beau cantonnier !
Avec le casse-croûte, Odile  n’avait pas oublié  de glisser dans mon sac une bouteille de mirabelle au goulot de laquelle nous buvions joyeusement tout en parlant d’enlever des belles. […] Plus tard, bien plus tard, on s’est serrés dans les bras, fraternellement, mais je n’ai pas osé lui demander si lui, le chef des cantonniers, était ami du chef des policiers. Je l’ai regardé regagner sa voiture bercé par le tintement des bouteilles vides qu’il emmenait avec lui. Je ne me souviens plus de la suite, sans doute à cause de la fée clochette.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.


*

− 4 = 4