Plus que 365 jours… (106/365)

Neige de mai – IX

Jour de pluie, donc jour d’écriture devant la fenêtre de sa chambre qui est sous le faîte. Jour d’écriture, donc jour de cahier noir. Jour de cahier noir, donc jour de mise au propre.

Il n’a pas su tout de suite ce qu’il ferait exactement de ce cahier noir trouvé au bazar d’Hospental, ce cahier avec des lignes bleues qui forment des carrés de quatre millimètres de côté et une ligne rouge qui détermine la marge. Ce qui l’avait poussé à acheter ce cahier, au bazar d’Hospental, c’étaient plusieurs choses.
La première était sans doute le bazar lui-même. Combien de fois n’était-il pas entré dans un bazar, rien que pour le plaisir. Passer en revue ces objets hétéroclites, et pour certains se demander à quoi ils servaient – c’est une brosse à radiateur, mon garçon, lui avait dit le monsieur en blouse bleue dans ce bazar de vacances aussi lointaines que les radiateurs en fonte ; pourtant il ne lui avait rien demandé au monsieur, le garçon, mais il avait deviné la question et ça lui avait plu au garçon. Dans les mois qui avaient suivi ces vacances, il avait rêvé de tenir un tel bazar, mais qui ferait aussi épicerie. Lui aussi aurait une blouse bleue, lui aussi renseignerait aimablement les gens et, entre deux clients, il lirait des livres au fond de son bazar, car ce bazar ferait aussi librairie. Et quand le bazar serait fermé, il marcherait, dans les montagnes, car ce bazar serait à la montagne.
La seconde raison était sans doute le cahier lui-même. Qui résiste à un cahier d’écolier, écrire, retourner en enfance, faire des projets, rêver ? Pas lui en tout cas. Mais il n’était plus un enfant, alors ce cahier noir,  ce cahier qu’il commença par tenir impeccablement parce qu’il ressemblait  au cahier de maison, ce cahier dans lequel il devait mettre ses devoirs au propre, ce cahier noir il le salit, mais pas n’importe comment. On s’en souvient, il y fit des taches noires avec ses doigts qu’il avait frottés à des murs contre lesquels il y avait eu du charbon, ce n’étaient donc pas n’importe quelles taches, mais ses empreintes. Il voulait que le contenu du cahier soit signé. Et dans ce cahier, il y avait la mise au clair de ses idées, de ses projets, mais sans fioritures, sans cadres de couleurs et encore moins d’interdits. La maîtresse qui ramassait autrefois le cahier de maison n’aurait pas aimé ce cahier-là, non pas à cause de sa couleur – quoique – mais parce, aurait écrit la maîtresse,  « toute vérité n’est pas bonne à dire! » ; la maîtresse aimait les proverbes et dans la marge, cet espace qui est de l’autre côté du trait rouge, la maîtresse écrivait ce qu’elle voulait.

Le cahier noir, on le verra tantôt, développe des éléments tirés du carnet du marcheur – appelé aussi à plusieurs reprises journal du marcheur dans ce feuilleton – mais aussi d’autres éléments écrits encore nulle part. Lorsque l’on marche, on ne peut pas tout écrire, mais chacun fait quotidiennement l’expérience de la mémoire qui engrange, qui relie, qui fait remonter à la surface bien des années plus tard  – pourtant la maîtresse disait « les paroles s’envolent, les écrits restent! » –, alors dans le cahier noir, il y a des éléments qui ne se sont pas envolés, qui reviennent de loin, qui se sont rassemblés pas à pas.

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