Neige de mai – IV
Cet espace est carré, mais ce n’est pas le carré d’une carte. Cet espace est carré, mais n’est pas sur une carte – les vrais lieux ne figurent pas sur les cartes, nous rappelle le grand Herman Melville. Si les vrais lieux ne sont pas sur les cartes, cela veut dire qu’on ne peut pas lire la carte puis aller vérifier in situ, il faut plutôt être in situ, regarder ce qui manque sur la carte et le rajouter, ou pas. Encore faut-il pouvoir et maîtriser l’échelle. Si un jour cet espace carré, ce vrai lieu, figure sur une carte, on ne le verra pas ; un cinquième de millimètre, ça ne se voit pas sur une carte au vingt-cinq millième. Il faudrait changer d’échelle pour que l’on voit mieux cet espace carré. Au dix millième – quand la carte devient plan – notre espace carré ferait un demi-millimètre ; il faut avoir de bons yeux pour voir un demi-millimètre, alors pour mieux voir, on serait tenté de changer encore d’échelle, et on aurait peut-être envie de voir aussi les rectangles qui forment ce carré – ces rectangles qui proviennent des versants de la petite vallée dans laquelle coule le Meielsgrundbach –, et ainsi de suite ; on finirait par arriver à la réalité – l’échelle 1:1 –, alors on verrait tout et tout le monde pourrait dire qu’il sait lire la carte, sauf que la carte serait aussi grande que la réalité et la recouvrirait en entier. La réalité masquée par la carte alors que la carte est censée la représenter, la simplifier, la synthétiser, mais ce serait le monde à l’envers, l’océan chaviré, le marin déboussolé, le train égaré ! Dieu que ce texte est carré !