Franges des jours I

Dans les histoires il y a souvent des naissances. Et lorsque ce sont des enfants qui naissent, dans les histoires, on voit parfois arriver des fées ou des santons.

En marge de cette histoire-là, racontée par épisodes dont les fils s’entremêlent jusqu’à en perdre le lecteur, il n’ y a pas de fées mais des vrais gens – sur le plan romanesque, s’entend – et ces vrais gens ressemblent à des santons, sauf qu’ils sont humains, comme dans un roman…

Quelques-uns de ces vrais gens se manifestent au cours de l’été 1934, sur un alpage jurassien. Un nuit de juin, Judith, une réfugiée allemande de la première heure, met au monde Maryam. Judith et Peter, son compagnon, sont clandestins sur cet alpage – sauf pour Günter, leur ange gardien, un être de chair et de sang – jusqu’à cette nuit de juin durant laquelle Peter va chercher de l’aide au village voisin, le village où résident les vrais gens. Il remonte avec Eva, la sage-femme et avec le syndic accompagné de sa femme – il n’y a jamais trop de femmes en cas de crise ; souvent, mieux que les hommes, elles savent rester calmes, connaissent les gestes qu’il faut faire, les mots qui apaisent et le chemin à suivre. Cette nuit de juin 1934 fut donc à la fois celle d’une naissance et d’une épiphanie ; Maryam vint au monde et l’avant-garde du village – la sage-femme, le syndic et sa femme – apprit qu’un couple d’humains, comme eux, avait trouvé refuge sur cet alpage de la commune.
Peu de temps après, Eva était revenue avec un autre couple, Robert et Olga.

Ils furent d’abord pris pour des vagabonds mais ne s’en formalisèrent pas ; autant leur cuir était foncé, presque brûlé, autant ils étaient bons comme le pain.
C’était à l’heure de la sieste, lorsque le soleil de juin nous invite à rester dans la fraicheur du dedans. Maryam dormait et Judith allait demander à Peter de le rejoindre – il finissait son café à petites gorgées, pensant à Dieu sait quoi –, mais elle resta interdite face à la vision qui s’offrait à elle : dans l’encadrement de la porte restée ouverte, un couple massif venait d’apparaître. L’expression lue sur le visage de Judith et la diminution subite de la lumière qui entrait par la porte firent retourner Peter d’un bond. Deux couples face à face, l’un côte à côte sur le perron, l’autre à l’intérieur, l’homme près de la porte, la femme quelques mètres derrière.

– N’ayez pas peur, dit l’inconnue, nous ne vous ferons aucun mal, bien au contraire, nous sommes Marianne et Robin, du village voisin.

On les fait entrer et, une fois n’est pas coutume, la table est témoin d’une belle rencontre.

– Nous sommes charbonniers
– et aussi ramoneurs
– ses ancêtres sont venus de Lombardie, pour échapper à la loi
– mais depuis ma famille est rentrée dans le droit chemin
– mais, allez savoir pourquoi, on le prend toujours pour un brigand, et moi avec !

Dans leur bouche rose les dents sont grandes et éclatantes mais ne font pas peur car l’éclat de rire est franc. Ils expliquent qu’ils connaissent toutes les cheminées de la commune et qu’ils veulent inspecter et ramoner celles d’ici – car elles n’ont plus vu de ramoneur depuis belle lurette, tonne Robin, faussement fâché. Voyant que Judith et Peter ne savent pas encore si c’est du lard ou du cochon, Marianne dit que Robin exagère toujours et que si l’on en croit la cuisson des bagels – dont tout le village s’est régalé – la cheminée du four tire très bien et que l’inspection ne sera que routine.

On parle, on fait connaissance, puis les ramoneurs ramonent, Peter refait du café et Judith va chercher Maryam qui s’est réveillée dans l’intervalle. Attablés à la cuisine, Marianne et Robin dévorent la petite qui est dans les bras de sa mère et Peter se dit que deux ramoneurs qui s’aiment d’amour tendre et regardent sa fille pieusement sont de bien meilleure augure pour l’avenir de Maryam que des fées qui se seraient penchées sur son berceau.

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