Avril est vert – IX
Fernando a parlé pour ainsi dire d’une seule traite, sans s’encoubler et tout semble clair, aucune question à l’horizon. D’un sourire à Marguerite, Pierre indique qu’il a tout noté et qu’il est prêt à continuer.
– Du côté du magasin c’est encore brumeux, enchaîne la libraire. Certes, il y a de nombreuses idées, mais nous devons encore trouver la manière de les articuler, de les rendre cohérentes, lisibles pour ceux que nous aimerions faire entrer ici, dans ce lieu auquel il faut aussi trouver un nouveau nom. Je vais commencer par énumérer toutes les idées qui ont émergé à ce jour, ensuite Paola prendra la parole pour préciser l’horizon des possibles puis nous ouvrirons la discussion.
Il semble d’ores et déjà clair que la librairie ne va pas disparaître, mais il s’agit de réduire l’offre, de se spécialiser et peut-être aussi d’intégrer la vente et le rachat de livres d’occasion, la possibilité de lire sur place et celle d’emprunter des ouvrages comme dans une bibliothèque. Une partie de l’espace pourrait être aménagée en café-librairie, sans négliger que l’installation de chaises et de tables peut permettre d’autres usages : des cours, du soutien scolaire, des lectures publiques, des conférences, des débats, des concerts, bref, toutes sortes d’activités qui pourraient donner envie à bien du monde de pousser notre porte !
Un bar-comptoir pourrait marquer la séparation avec un autre espace, celui d’un atelier. Paola souhaite reprendre son métier de couturière, et Fatou, Jenna et Kira – pour qui le tissage, l’art de la teinture, des jeux d’aiguilles et de ciseaux n’ont presque aucun secret – se verraient bien l’accompagner. L’atelier pourrait également accueillir des cours et favoriser des échanges de pratiques dans notre ville métissée.
– Sans compter que Denis pourrait enfin mener à terme la fabrication du métier à tisser dont il a dessiné les plans au début de notre mariage ! ajoute malicieusement Hélène. Métissage, tissage.
Quant au bureau, la partie du commerce la moins visible depuis la rue, il pourrait être consacré à d’autres occupations utiles à tout un chacun. A ces mots, Pierre s’interrompt, pose sa plume, lève la tête et dit :
– A mon sens, il manque un écrivain public dans notre commune ; je sais que vous êtes nombreux à avoir une bien piètre image de moi – et je vous comprends –, mais je serais ravi de mettre ma plume au service de ceux qui pourraient en avoir besoin.
Ces mots font un effet considérable à ceux qui les entendent ; on se met à regarder Pierre comme on regarde quelqu’un qui serait soudain touché par la grâce, quelqu’un qui remonterait du monde des morts pour oeuvrer dans le celui des vivants. Et ces regards ne sont pas sans effet sur Pierre qui reprend sa plume et se remet à écrire en se penchant davantage sur son cahier, comme pour masquer sa rougeur. Paola profite de cet instant suspendu pour entrer dans la danse.
– Au moment où je vous parle, seuls Mathilde, Marguerite et Fernando sont dans le secret ; mercredi j’étais chez le notaire pour signer un acte important, l’acte d’achat de cet immeuble. J’en suis désormais l’unique propriétaire et je le mets à disposition de notre future association.