Avril est vert – IV
Le pion fait comme si de rien n’était, comme s’il ne reconnaissait pas la plupart des gens réunis ici ; il se contente de dire bonjour et se dirige vers le rayon littérature où Marguerite le suit. Dans leur dos les discussions reprennent, mais plus feutrées. Tous ont reconnu le pion, mais on est très surpris de le voir réapparaître ici et maintenant, on l’avait presque oublié, depuis quelque temps on ne le voyait plus à ses fenêtres, il avait peut-être appris à voir sans être vu. Très professionnelle, Marguerite n’en avait jamais parlé, mais pour elle c’était un client assez régulier, qui venait presque toujours lorsqu’elle était seule ; il aimait prendre son temps, regarder, feuilleter, se laisser conseiller, échanger à propos de littérature. Marguerite l’appréciait, il était l’un des derniers qui saisissaient l’importance de cette librairie.
Sans aide, le pion trouve ce qu’il cherche, Les invités, un roman de Pierre Assouline. Il resterait bien parler un instant mais il a compris que ce n’est pas le bon soir, et sans doute aussi qu’il ne peut pas être le bienvenu dans ce groupe. Marguerite encaisse et le raccompagne à la porte, comme elle en a l’habitude, mais au lieu d’ouvrir la porte, elle prend le pion par le bras, fait volte-face avec lui et dit à ses amis rassemblés « Laissez-moi vous présentez Pierre, un de mes plus fidèles clients. »