Plus que 365 jours… (65/365)

Mars est marron, noisette, avec des points verts – XIV

On parle aussi dans une autre cuisine, celle de Mathilde, et aussi dans son jardin, chaque fois que le temps le permet. Fernando poursuit ses visites, pour ainsi dire quotidiennes, mais il n’est plus seul avec la jardinière.

Dans la rue parallèle à celle de Mathilde, quelqu’un passe le plus clair de son temps à sa fenêtre mais y voit de moins en moins clair. Il y a maintenant des hommes et des femmes – le guetteur en a répertorié quinze – qui se rendent régulièrement chez la jardinière, seuls ou en groupes. Le guetteur – qui ressemble plus à un pion qu’à un guetteur – sait de moins en moins quoi faire de ce qu’il voit. Ce qui, les premières semaines, ressemblait à l’histoire classique d’un marcheur intello au long cours – les pions savent faire les cent pas dans les cours mais détestent les intello, tout en aspirant à l’être – que sa femme ferait cocu avec un étranger, semble en fait être autre chose, car de nouvelles personnes viennent en visite. Au début, lorsque le nombre n’excédait pas quatre ou cinq, le pion avait pensé à des parties fines – les pions sont rarement fins –, mais au fur et à mesure que le nombre des visites augmente et que la plupart apporte quelque chose, qui un livre, qui de la nourriture dans un plat en terre, qui des accessoires de jardin, le pion se perd en conjectures, on le voit moins à la fenêtre – le pion pensait être discret, mais tout le monde voyait clair dans son jeu, au pion, dans tout le quartier, et même au-delà, on voyait son manège et on se riait de lui, à son nez et à la barbe qu’il n’avait pas (les pions sont en général glabres et lisses). Dans la maison de Mathilde, et dans son jardin, on se dit que le pion a déclaré forfait, qu’il renonce à comprendre ce qui se trame lentement sous ses yeux, et ça fait du bien à tout le monde, dans le quartier, et même au-delà, de penser qu’on a neutralisé un pion, qu’on l’a bouffé.

Mais qui sont ces gens, de plusieurs couleurs, qui se hâtent à petits ou à grands pas vers le jardin de Mathilde, qui parlent et mangent, lisent, chantent, rient, prennent des mesures, plantent des piquets, tendent des ficelles ? Que préparent-ils, un éden, carnaval ?

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