Mars est marron, noisette, avec des points verts – XIII
Fin du premier jour de Fassnacht, début de soirée dans une cuisine déjà croisée, celle de deux fifres qui donne sur une placette pavée qui ouvre sur le levant. A la table, deux musiciens et un marcheur – qui a récupéré son sac à la consigne de la gare, on l’a invité à rester depuis qu’on a découvert, le matin même, qu’on est réunis par d’étranges liens ; on se dit qu’on a des choses à se dire, à partager, à comprendre. Tout est parti des livres, ce qui n’étonne personne, pas même, probablement, le lecteur de ce récit. Ces livres que celui qui a peu dormi a feuilleté dans cette pièce qui semble faire office de salon, de bureau, de bibliothèque, de cabinet d’estampes et maintenant de chambre d’ami, ces livres sortis des rayonnages dont celui qui est venu par les crêtes jurassiennes a lu des passages et longuement regardé des images, reproductions de tableaux, de dessins, de photographies, ces livres qui ont occupé, ce matin, toute la conversation que l’on a eue durant le petit -déjeuner du Morgenstreich.
A la table de ce petit déjeuner, une fois sorti des ces livres, il leur explique son étonnement. Dans le chalet où il vient de passer deux mois, il a vu un certain nombres de livres identiques à ceux de la pièce dans laquelle il vient de passer quelques heures, de l’art, de la littérature, du cinéma, de la musique mais chaque fois avec un point commun, un terrible point commun. Ces deux lieux lui font l’impression d’une plongée dans l’histoire du vingtième siècle, l’histoire la plus sombre. Dans Chroniques, il a lu que Fritz, le douanier ange-gardien qui avait pris sous son aile Judith, Günter et la petite Maryam avait aussi été convoyeur de livres, pas le seul, mais le principal au début ; il apportait des livres de peinture, de littérature, de musique et de cinéma, des livres frappés d’interdiction parce que leurs auteurs, ou les artistes dont ils parlaient, étaient vus, eux et l’art qui sortait d’eux, comme des dégénérés. Ces livres que Fritz convoyaient nourrissaient Judith et Günter, et bien d’autres par la suite, ces livres transitaient par Bâle d’où Fritz était originaire. Alors, lorsqu’il est assis à la table du petit-déjeuner de Morgenstreich, le marcheur demande aux fifres :
– Avez-vous entendu parler d’un certain Fritz, douanier originaire de Bâle, en poste sur les crêtes jurassiennes dès le début des années trente ?
– Oui, répondit la femme, c’était le cousin de mon grand-père, tous deux étaient liés à l’art dégénéré.
Maintenant c’est le souper, et la discussion continue, comme le carnaval.