Plus que 365 jours… (63/365)

Mars est marron, noisette, avec des points verts – XII

Un des ses plaisirs, lorsqu’il est à Bâle ou ailleurs, au carnaval ou pas, seul ou accompagné, c’est d’écrire dans les bistrots, au milieu des humains, au milieu des vivants.

Ce jour-là – on est le premier jour de carnaval, l’après-midi, il a décidé de ne pas suivre les deux fifres mais de les retrouver plus tard, chez eux – il ouvre son carnet en commandant une bière, le feuillette, tombe sur meurette et se dit qu’il est grand temps de faire quelque chose de ces mots glanés sur l’échine jurassienne, ces mots qui reposent depuis un dizaine de jours sur les pages quadrillées comme les pavés reposent sur les rues, donc sur les plages ; oui, faire quelque chose de meurette et de ses soeurettes, mais aussi des mots masculins, ail, fromage, et d’immense – un mot transgenre ? on s’en fout, c’est carnaval, mettons des talons hauts à ce carnaval, ce carnaval trop sérieux qui marche au pas et au tambour, ce carnaval qui pète plus haut que son ut, il est grand temps que ce carnaval se prenne les pieds dans les pavés et chavire, faisons tomber carnaval, roulons-nous avec lui, ou avec elle, ou les deux, sur la plage, et pour l’enfer, on verra plus tard !

Il commence par chercher un titre dans le réservoir des mots des pages quadrillées – il a appris cela à l’école – mais il sèche. Il commande une autre bière. Il sèche toujours. Une troisième bière, mais avec quelque chose à manger, il a peur d’être rond ; il choisit une spécialité locale, mais pas vegan, un saucisse d’ici qu’on appelle boule de Bâle, il n’a pas peur d’être rond, il sait qu’on peut être rond sans être rond – ça, il n’est pas sûr de l’avoir appris à l’école. Il trouve enfin un titre (de travail) sur les pages du carnet quadrillé : Quel né ? Et il se met à composer.

En passant à pieds pas joints sur un alpage, j’avise un vieux pécore avec la goutte au nez qui sentait le fromage comme certains pieds quand ils ont trop macéré, sauf que lui c’était du fromage au lait cru et bio, donc sans Pasteur, ce lait que les beaux-bios raffolent d’acheter sur les marchés pour mettre dans leur thé trop épicé (tchaï) ou dans leur café mal torréfié – alors qu’ils feraient mieux de mettre de l’eau dans leur vin –, ce bon lait cru que des vaches au poil dru ont pondu – c’est ce qu’ils croient les beaux-bio qui feraient mieux de mettre de l’eau dans leur vin – sur des alpages pentus entourés de murs de pierres sèches – les beaux-bios savent dire murgers – comme une archiduchesse se nourrissant exclusivement de fruits secs et de biscuits itou, secs mais beaux, beau un cor marron mais sans ps qui chante au sommet.

Je surpris ce pécore en plein coup d’mou, non pas qu’il eût reçu un coup de genou de sa piétaille un jour de semailles, c’étaient plutôt ses pieds qui étaient blessés : des cors qu’il frottait à l’ail, des engelures qu’il soignait à coups d’insolations, des cloques qu’il purgeait de leur eau au fil, sans faire aïe, aïe. aïe, des foulures qu’il refoulait du goulot selon la technique d’un vieux fou qui créchait à Lurs avec une valetaille à sonnailles.

Son alpage à lui, le vieux pécore blessé des pieds, était aussi entouré d’une immense barrière de mousses forestières l’écume des jours , et aussi d’essences de lichens très rares, de ceux qu’on trouve qu’en Gruyère, sous les fougères, sans rien faire, y a qu’à s’baisser comme les pointes des sapins quand Lothar les fait danser, ces pointes bien vertes, sur les mamelons, digue don don.

Tandis qu’il se frottait à l’ail, le vieux pécore, sa soeurette, pas jeunette, frottait ma moelle avec ses os ; au m’nu y avaient oeufs en meurette, herbettes, fleurettes, noisettes, giclette et tout c’qui faut ; on s’est grignotés sans chipoter, on a siffloté sans pleurote, c’était plutôt hot, sans litote ni cystite, jusqu’à c’que six Hittites et autant d’Hottentots nous tombent dessus et nous barattent avec leurs battes en silicate, ah les sales cats, j’vous dis qu’ça ma p’tite, on aurait préféré une mastoïdite ou un upercut, sans ut.

J’ai adressé une réclamation à Léonce, la reine des do-, elle a dit oh ! Léonce, elle a dit ah !, elle a dit wiz ! avant de m’envoyer, d’un coup d’balai, chez Jean qu’a un chalet là-haut sur la montagne, pas en Valais, pour prendre une raclette, mais sans fromton, et i’ m’a pas raté ce con : mon nez, quel nez ! i’ ressemblait à un bourgeon terreux que la neige et les rochers – qui se seraient unis – auraient arraché ; en me voyant, ma mère aurait pu dire « Quel né ? »POINT

Il relirait bien le texte, mais six Hittites et autant d’Hottentots se pointent avec des bottes de bière, comme au pays des Usipètes, pas celui des Hittites, ni des Hottentots.

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