Mars est marron, noisette, avec des points verts – XI
Ainsi parlait-on, aux petites heures du matin, dans une cuisine du vieux Bâle qui sentait l’oignon qu’on a fait blondir et la farine qu’on a fait roussir.
Au moment où ceux qui parlent dans cette cuisine se disent qu’il serait temps d’aller dormir un peu, le jour se met à blanchir. Il entre par une large fenêtre qui donne sur la placette orientée est ; on pourrait se sentir en prison derrière cette fenêtre car, comme toutes les fenêtres de ce rez-de-chaussée, elle est grillagée – du fer forgé ; en réalité, on se sent plutôt en vitrine en ce premier jour de carnaval, il y a du mouvement sur la placette et des regards, furtifs, se dirigent vers l’intérieur. Quelques passants envient peut-être ceux qui sont dans cette cuisine aux petites heures de ce premier matin de carnaval, pourtant ils ne sentent pas les odeurs de cette cuisine, la fenêtre est fermée, mais on est en vitrine, pas en prison.
Les fifres proposent à leur hôte le canapé de l’autre pièce du rez-de-chaussée – le rez n’est pas grand, mais confortable –, une pièce qui semble faire office de salon, de bureau, de bibliothèque mais aussi de cabinet d’estampes. On convient de se lever à midi et de déjeuner avant de repartir arpenter la ville, ensemble ou séparément.
A l’heure convenue, les fifres descendus sur la pointe des pieds – l’appartement a au moins deux étages – trouvent leur hôte assis sur le plancher au milieu de livres qu’il a sortis des bibliothèques, il lit profondément, comme s’il dormait ; ils ne l’interrompent pas et vont préparer le déjeuner. C’est sans doute l’odeur du café, associée aux tintements des tasses et des couverts, qui le tirent de sa bulle ; il les rejoint à la cuisine. Les livres et les images occupent tout le repas. Il commence à comprendre qui sont ces musiciens.