Plus que 365 jours… (61/365)

Mars est marron, noisette, avec des points verts – X

Entre la soupe et la tarte, avant le lever du jour, on parle. On est dans une cuisine qui donne sur une placette pavée, une cuisine accueillante qui sent l’oignon et la farine grillée. Il dit pourquoi il est seul, ils disent pourquoi ils sont en couple ; ils en sont à peu près à la même étape de vie.

Se disent-ils ces choses si intimes parce qu’ils pensent qu’ils ne se reverront plus – lui s’apprête à remonter le Rhin jusqu’aux montagnes –, ou sont-ils en train, sans le savoir, de nouer le premier fil d’une amitié ? Premier fil ou second fil, puisqu’ils se sont déjà rencontrés ? Lui ne le savait pas mais eux oui, eux qui ont reconnu celui qui les avait suivis un carnaval passé avec elle, celle qui n’est pas là cette année. Lui ne pouvait pas le savoir puis qu’ils n’avaient pas, cette année-là, tombé les masques. Mais maintenant qu’ils l’ont invité à entrer, il le sait qu’ils se sont déjà vus, mais ce n’étaient pas les mêmes masques, pas les mêmes costumes. Second fil noué sur la trame des ruelles ?

Ils lui racontent qu’ils aiment le carnaval depuis toujours, mais pas comme les cliques. Certes ils marchent au pas – comment ne pas marcher en rythme lorsqu’on est musicien ? – mais la comparaison s’arrête là. Chaque année, lorsque les clochers sonnent quatre, ils partent de leur placette et parcourent la ville en choisissant les ruelles ; ils aiment le coude à coude et connaissent tous les passages où il faut marcher à la queue leu leu. Rarement ils sont seuls, souvent on les suit. Ils aiment être des guides nocturnes, parfois avec des amis qui les escortent, d’autres fois avec des inconnus. Ils lui racontent qu’au carnaval où ils l’ont déjà vu – avec elle, celle qui n’est pas là cette année – ils avaient senti le plaisir que ce couple avait à les suivre ; ils lui disent – à lui qui est là sans elle dans leur cuisine qui sent l’oignon et la farine grillée – que c’est rare de sentir un tel plaisir chez des inconnus, que ça les avait frappés, ça se lisait sur vos visages, ces visages que nous n’avons pas beaucoup vus, puisque nous étions devant avec nos fifres, mais à chaque méandre, à chaque demi-tour, nous cherchions à apercevoir les visages qui nous suivaient, et il nous semblait – à nous qui étions sous nos masques – que ces visages, vos visages, étaient éclairés de l’intérieur, comme de belles lanternes. Alors ce soir, quand nous avons reconnu votre lumière, nous avons décidé de tomber les masques et de vous inviter à entrer.

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