Plus que 365 jours… (37/365)

Orangé comme février – VI

[journal du marcheur – extraits]

« Sans cette histoire, on serait tous différents, certains d’entre nous ne seraient pas nés, et peut-être que d’autres seraient partis tenter leur chance ailleurs, que le village se serait éteint à petit feu, en même temps que ses derniers habitants.

L’homme qui émerge de cette nuit de juin et frappe aux portes pour trouver une sage-femme ou un docteur s’est lancé dans une course contre la mort. Dans un français teinté d’ailleurs, il dit que là-haut, sur l’alpage, une femme va accoucher et que ça a l’air mal emmanché. Il a frappé à une première porte, qui est restée close – des morts de la grippe espagnole. A la seconde porte, on l’écoute, on va chercher une lanterne et on l’accompagne à la troisième porte, celle de la sage-femme. Elle écoute, elle rassure, tandis que l’on se met en route dans la nuit. Il y a l’homme, la sage-femme – sur le cheval que l’homme tient par la bride – et le couple de la deuxième porte – mes grands-parents, dit Paulinho. La lune les précède sur le chemin, elle les éclaire tout en se donnant des airs de les guider, comme dans une scène qui raconterait la Nativité, mais tous connaissent le chemin et tous craignent un fin dramatique.

Sur place, dans la grande pièce, on trouve une femme calme, proche de la délivrance. Aidée par ma grand-mère, la sage-femme fait son office. Les hommes font bouillir de l’eau, en prélèvent un peu pour faire du thé et vont attendre sur les dalles devant la porte d’entrée ; ils sont éclairés par la lune qui stationne au milieu des astres de juin. Ils n’ont pas le temps de scruter le ciel, déjà ma grand-mère vient les chercher, et l’homme se trouve d’un coup dans l’état de père, la sage-femme lui ayant mis un bébé dans les bras. Il entend sa femme dire « elle s’appellera Maryam » ; l’homme reste muet mais acquiesce du regard ; derrière les larmes, ses yeux sourient.

Tandis que Maryam dort paisiblement avec sa mère, l’homme – son père – se met à parler à la sage-femme et à mes grands-parents. Ils commencent à comprendre pourquoi la maison n’est pas en ruines. »

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