Plus que 365 jours… (34/365)

Orangé comme février – III

[journal du marcheur – extraits]

Toujours pas de Janus à l’horizon, pourtant je scrute les aurores et les crépuscules pour y voir plus clair, plus clair sur les nuances de l’orangé, mais pas seulement ; pour l’instant, je scrute en vain. (…)

Hier soir, le feu m’a éclairé. J’ai eu envie de crier « eurêka ! », mais j’étais le seul encore debout ; les réveiller en criant – même de joie – serait faire preuve de bien peu de reconnaissance envers mes hôtes, me suis-je dit. (Depuis quelques jours, ils se couchent plus tôt, non pas qu’ils semblent fatigués, mais plutôt soucieux ; les visiteurs sans doute. Pourtant, une troisième visite aurait dû dissiper leurs inquiétudes, celle de ce couple de randonneurs qui a pique-niqué avec nous hier matin, devant la maison, sous ce joli soleil d’hiver. Ils avaient quelque chose à nous remettre, de la part de l’épicier du village dans lequel ils avaient fait étape pour la nuit ; plusieurs sachets de papier vert foncé sur lesquels étaient imprimés des dessins de fruits et de légumes. Contrairement aux fruits imprimés, les fruits contenus dans les sachets étaient de saison : oranges, mandarines, kiwis. Pourtant, cette visite et ces présents semblent avoir amplifié leurs inquiétudes ; derrière le crépitement des flammes, il me semblait entendre des chuchotements, sans doute ne dormaient-ils pas et devaient essayer de se rassurer avec des mots, de pauvres mots (…). )

Mais le feu d’hier n’a pas tout de suite été un feu de joie. Je regardais les flammes, me disant que j’y trouverais peut-être d’autres nuances que celles des aurores et des crépuscules, mais les flammes me résistaient, par moments je les trouvais même moins nuancées que les ciels qui annoncent l’arrivée ou suivent le départ de Phébus, je les trouvais presque plus fades. (…) J’ai dû m’assoupir, au moins une fois, car j’ai soudain eu sous les yeux d’autres couleurs, celles des braises qui clignotaient sur les bûches sans flamme. La joie m’est donc venue de l’absence de flamme. Et avec la joie, la certitude que les oranges sanguines que nous mangions les hivers de l’enfance constituaient le lien principal entre février et la couleur que je lui avais associée dans ma mémoire. (…) Les oranges sanguines, leur peau si particulière, douce et granuleuse, fraîche et chaude, un camaïeu de rouges sur fond orange. Les oranges sanguines, avant de les peler pour mériter leur chair – doux mélange d’acidité et d’amertume – on enlevait délicatement le papier qui les enveloppait, comme un trésor, on roulait ce papier ciré pour en faire un long cylindre que l’on posait en équilibre sur une assiette à dessert, avant de l’enflammer dans l’espoir qu’il monte au ciel. S’il montait, l’orange n’en était que plus délicieuse, s’il chutait lourdement après avoir fait mine d’échapper à la pesanteur, l’orange nous consolait, comme on console, dit-on, les prisonniers. (…)

Dans mon lit, cherchant le sommeil après tant d’excitation, je complétais mentalement la liste des éléments qui relient février aux chaudes nuances de l’orange, et des échos revenaient à mes oreilles, en particulier les rudes échos des renards en rut qui font résonner les nuits de février ; durant ces rudes nuits glaciales, les glapissements des renards roux ressemblent à des cris de bébés hommes, comme pour mieux rappeler ce qui suit le rut. (…)

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