Plus que 365 jours… (30/365)

Blanc comme janvier – XXX

Il ne fut d’abord qu’une tache noire dans le blanc qui nous entourait, ce blanc laiteux avec lequel nous faisions corps, nous au milieu de lui, lui autour de nous. De cette tache sombre et gesticulante émanaient des sons sourds que nous ne parvenions pas à saisir ; mais qu’étions-nous capables de saisir dans ce fossé au fond duquel des voix nous avaient jetés ?

Peut-être nous disions-nous qu’un curé ou un diable – mais quelle différence ? – psalmodiait d’obscures formules avant de soulever notre linceul de brouillard et de prononcer notre condamnation dans un immense éclat de colère, ou de rire – serait-ce cela la différence ?

C’est au contact de ses mains, les mains de cette tache sombre, que nous revenons à nous ; deux solides mains qui nous tirent littéralement de l’abîme, nous remettent debout et nous poussent avec rudesse sur un chemin forestier en nous criant – oui ces mains criaient – de rester éveillés, d’avancer, de ne pas nous arrêter, de ne pas nous retourner.

Combien de temps dure cette marche forcée ? Sans doute longtemps ; les feuilles mortes trempées ont fait place à un tapis plus épais, plus froid ; le son de nos pas n’est plus gluant, il devient grinçant, ça crisse et ça commence à monter, ça devient de plus en plus raide et soudain ça s’arrête. Les mains se sont tues et nous maintiennent en équilibre, on est debout sur un fil.

On tangue sur le fil, car les mains accrochées à nos épaules montent et descendent ; sans doute ont-elles besoin, tout comme nous, de reprendre leur souffle. Ça dure une éternité.

Peut-être nous disions-nous que ce fil était tendu au-dessus de l’éternité et que ce curé ou ce diable – mais quelle importance ? – allait nous faire tomber du fil, nous faire chuter dans l’éternité – ce serait ça, l’éternité ?

Pas de chute mais une descente, brève mais rude. Les mains se font rassurantes et nous retiennent en claquant la langue, comme un habile cocher. Il nous arrête sur un plat, devant un mur, nous lâche et ouvre une porte ; une douce chaleur nous aspire et nous tire de notre léthargie.

Ni enfer, ni paradis; nous étions arrivés dans cette maison, cette maison dans laquelle nous vous avons recueilli hier soir, oui, ici même, là où nous sommes en train de vous raconter cet épisode de notre errance.

Cet épisode que nous pouvons vous raconter parce que nos corps s’en souviennent, mais aussi parce que lui, l’homme noir, nous a raconté ce qu’avaient fait ses deux mains.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.


*

− 2 = 3