Blanc comme janvier – XXIX
Dans la vaste pièce de la drôle de maison nichée sur un plat, un peu en dessous du chemin des crêtes, la tonalité est sombre, en cette fin de matinée du 3 janvier. Le récit des deux habitants du lieu a repris, plus dépouillé, moins théâtral mais pas moins dramatique. Ils sont attablés avec leur hôte ; ils se passent la parole, lui écoute.
L’enquête a établi qu’il s’agissait d’un suicide, d’un double suicide. Alors nous avons commencé, lentement, péniblement, à déblayer notre espace jonché de questions – questions qui commençaient toutes par pourquoi – pour tracer un autre chemin.
Nous avons vidé la maison, trié, jeté, donné tous ces objets de la vie d’avant. Nous voulions nous séparer de tout, essayer de renaître. Puis arriva le moment de donner les clés aux nouveaux propriétaires et de partir, avec nos sacs à dos dans lesquels nous avions fourré le strict nécessaire.
C’était en début d’après-midi, en fin d’automne. Au bout de la rue nous avons hésité ; un bref regard échangé et nous avons décidé de partir du côté où il n’y avait personne. Ainsi a commencé notre dérive solitaire. Dans les rues où nous nous enfoncions, les bâtiments étaient de plus en plus clairsemés, puis les trottoirs ont disparu et les rues sont devenues des chemins.
A la tombée de la nuit, nous étions soulagés qu’il n’y ait aucun réverbère pour nous éclairer. Nous avons dressé notre pauvre tente à l’abri d’un bosquet, le long d’un champ fraîchement labouré. Pas encore fourbus, nous avons mal dormi. Ce n’est que dès le lendemain que le rythme s’est installé.
Se lever tôt, marcher, marcher, marcher. Pas de parole, quelques regards. Nous évitions les lieux fréquentés, sauf pour nous ravitailler. Nous n’allions que dans les commerces où l’on pouvait se servir tout seul – nous avons presque commencé à aimer les stations-service –, et si quelqu’un nous parlait, on s’inventait une langue étrangère ; une fois, on a même grogné, comme des êtres reclus dans leur propre monde.
En fait nous étions des reclus, des reclus qui erraient dans un territoire incertain. Lorsqu’on entendait des voix, on se cachait à l’écart des chemins, comme des fuyards. Des fois ces voix n’étaient que des échos dans nos têtes, alors on restait cachés longtemps.
C’est l’homme noir qui nous a tirés du brouillard au milieu de cette journée de fin décembre.