Noir comme décembre
LA CANTINE DU MARCHÉ
La pluie s’est faite aussi grosse que les cordes qui tendent le chapiteau; semblables à des enfants sur un trampoline, les gouttes rebondissent avec bonheur sur la bâche qui luit de plaisir et résonne comme un tambour du Bronx – pourtant plus aucune trace de vague sur le terrain qui est devenu Place du Cirque. Pour couvrir le chapiteau bleu, le ciel a endossé son plus beau pardessus, le gris lumineux, ce camaïeux sublime. La tente regorge de monde, la foule jubile, le marché a enfin sa cantine.
En prévision de ce premier samedi des Yéniches, jour de marché, on n’a pas monté les gradins sous le cirque, on a laissé à la foule une large piste et, tout autour, on a dressé des stands avec leurs tables et leurs bancs; pas les mêmes que dehors, à un jet de pierre, sur la Grand-Place, mais des stands où l’on peut manger, avec des couverts; en ce matin de marché de mi-décembre, on est assis au chaud ou debout au froid.
Le four à pain tourne à plein régime – Robert et Giuseppe ont rempli leur mission, ils ont trouvé un grand four à bois monté sur remorque et n’ont eu aucune peine à recruter des volontaires pour la chauffe et la boulange; de son côté, l’équipe chargée de trouver de nouveaux soutiens – Rose, Mathilde, Klara, Françoise et Jenna – n’a eu aucune peine à convaincre ceux qui cuisinaient jusque-là au grand air de la Grand-Place de venir au chaud, ni à embrigader des nouveaux: une crème de pâtissière et son percolateur, un ardent rôtisseur de châtaignes – un peu jaloux –, un innocent mouleur de gaufres, une délicieuse crêpière et ses cuisses-dames en costume de bain de friture, un vendeur de marrons glacés, et caetera, et caetera.
Dans la ville de Mathilde, les sentinelles de neige ont fondu, mais le chapiteau bleu ne risque plus rien; les policiers en civil s’en sont allés dans leurs voitures banalisées, la foule se presse sous sa toile luisante pour boire et manger, on voit même des gardiens en uniforme dévorer du poulet yassa avec les mains pendant leur service, mais on laisse faire car le temps de la dinde approche.