Noir comme décembre
PIED DE NEZ
Tandis qu’on tient conseil de guerre Aux Yeux Fertiles, monsieur le directeur – qui préfère les minuscules – montre aux élèves de mademoiselle Agathe – qui est très partagée entre minuscules et majuscules – et aux enfants Yéniches, la meilleure technique pour fabriquer des bonshommes de neige; il s’agit d’en faire beaucoup, et le plus vite possible, alors mademoiselle Agathe et sa stagiaire, qui s’appelle Blanche, mettent la main à la neige, de même que les Yéniches adultes, sans oublier Rose, Robert, Fernando et Giuseppe.
monsieur le directeur est arrivé en pleine bataille de boules de neige, sous l’oeil médusé des adultes. Il a foncé droit sur eux, les adultes, et leur a dit:
– Ne m’expliquez rien, j’ai tout compris, les rues sont truffées de voitures banalisées, j’ai compté au moins 15 agents. Pas une minute à perdre, faisons des bonshommes de neige en guise de sentinelles, ils n’oseront pas s’attaquer à nous, on ne déloge pas des gamins innocents. Rassemblez les enfants, mademoiselle Agathe, je vais montrer une méthode rapide, à l’armée, j’étais dans les troupes de montagne.
Et les voilà en train de façonner une escouade de soldats et leurs munitions, en neige bien tassée, bien dure. Pour le nez, Rose ramène des carottes bio du bistrot-épicerie et de quoi manger, car l’heure de la récré a sonné.
Le campement est maintenant paré en cas d’attaque, les enfants se régalent et se chauffent autour de grands braseros, les adultes font le point.
– mademoiselle Agathe, jusqu’à midi vous êtes de garde ici avec vos élèves et Blanche, cet après-midi j’enverrai une autre classe, aujourd’hui, classe de neige et si les agents touchent à un cheveu des enfants…
– … ils verront ce qu’ils verront! s’écrie Rose.
– Ma parole, on est tombé au paradis, s’exclame Mariella, d’habitude on nous jette des pierres et là on nous aide à faire des boules de neige, c’est le monde à l’envers!
– monsieur le directeur, je ne vous reconnais pas, c’est comme ça que vous me grondez pour avoir laissé échapper les enfants en rentrant de la bibliothèque? demande mademoiselle Agathe.
– Que voulez-vous, les temps changent, il y a urgence; et malgré votre pédagogie un peu soixante-huitarde, vous êtes la meilleure maîtresse de mon école, prenez-en de la graine, Blanche, et je vous engage l’année prochaine pour remplacer mademoiselle Agathe qui part en retraite, une retraite bien méritée.
mademoiselle Agathe rougit et Blanche dit:
– Merci, monsieur le directeur, mais permettez-moi de vous poser une question, êtes-vous en train de dire qu’il faut faire des pieds de nez à l’autorité, vous le directeur d’école?
– Quelle autorité? celle qui s’apprête à chasser des gens qui revendiquent un autre mode de vie? des nomades de chez nous qui travaillent, paient leurs impôts, scolarisent leurs enfants et accomplissent tous leurs devoirs? Je vous le dis, Blanche, je vous le dis mes amis, ces agents sont le bras armé d’autorités incultes, comme directeur d’école, je suis du côté de la culture, alors j’ordonne que les enfants de mon école aient classe de neige et classe de Yéniche jusqu’aux vacances de Noël!
– Bienvenue au campement, monsieur le directeur, à vous, vos élèves et vos maîtres, dit Mariella très émue.
Tout le monde est très impressionné par la prestation du Directeur et les hommes se demandent même, in petto, s’il n’était pas un peu colonel, dans les troupes de montagnes, le directeur.