Novembre est une fleur flammes – XXV
Tandis qu’un train fonce vers Lisbonne avec une infinité de gens à son bord, un bateau glisse vers Amsterdam. Tandis que Linda refait ses lettres, Fredo s’alphabétise et Pablo se livre.
C’est l’histoire de sa famille que la capitaine dépose par bribes dans un cahier, aidé par ses apprentis marins d’eau douce qui se relaient pour l’écouter. Fragment après fragment il s’allège, se libère, s’adoucit enfin. Il ne crie plus sur Fredo, il ne crie plus sur personne, il se maîtrise, trace un nouveau chemin, sans oublier d’où il vient. Pour être sûr de ne pas oublier d’où il vient, il donne la parole à sa famille, ce n’est pas lui qui parle, mais eux, ils disent je, on, nous, Pablo ne veut pas être le narrateur, il veut restituer l’histoire telle qu’on lui l’a racontée, maintes et maintes fois.
Fragment A1 (suite)
Il n’était pas question pour moi de regagner l’Andalousie, j’aurais fini en prison, alors je suis resté dans la brise, la peur au ventre, ne pas céder au mal du pays. C’est ta grand-mère qui m’a guéri de ce mal, bien avant qu’elle devienne ta grand-mère; elle avait aussi mal à son pays – qui s’appelait pourtant L’Ajoie – mais d’une autre manière que moi. Sa mère est morte en la mettant au monde, ce que son père et ses frères ne lui ont jamais pardonné. Lorsqu’elle ne travaillait pas à l’atelier – j’avais trouvé un emploi dans un atelier d’horlogerie, c’est là qu’on s’est connu – elle devait faire tourner la maison familiale, seule femme au milieu d’un clan d’hommes, son père et ses trois frères restés célibataires, des gars tellement rustres qu’aucune femme n’en voulait. Seule femme au milieu d’un clan d’hommes qui lui reprochaient chaque jour sa naissance, de mille et mille façons.
Le jour de ses vingt ans elle a plaqué L’Ajoie et m’a emmené avec elle. On est arrivé à Bâle comme deux étrangers, la ville nous a adoptés sans faire d’histoires.