Blanc comme janvier – XXVI
Si loin
le pays natal –
les arbres bourgeonnent
[haiku de Taneda Santôka]
J’ai passé mes cinq premiers printemps dans un jardin qui descendait jusqu’à l’Atlantique, tout en douceur, à l’image de ma naissance qui eut lieu dans ce jardin, un 21 mars, peu après l’aube.
Pendant le repas qui a précédé ma venue au monde, ma mère a demandé à la sage-femme, sa propre mère, d’accoucher dehors, face à l’océan. Elle voulait que son enfant naisse comme elle, devant cette masse liquide « …tantôt abîme, une autre fois miroir » dit un vers de Pessoa. Ma grand-mère accueillit cette demande comme une évidence et les hommes, mon père et mon grand-père, ont souri de toute leur moustache que des gouttes de soupe faisaient reluire.
Durant la nuit, ma mère perdit les eaux. On l’installa sur des peaux de moutons, sur la terrasse qui domine la pente du jardin. Les hommes alimentaient le feu, tandis que la sage-femme aidait ma mère dans le travail qui avait commencé.
Peu après l’aube – tel un coq débutant qui n’aurait pas encore l’horaire –, j’ai poussé mon premier cri. La sage-femme a fait ce qu’elle devait puis m’a délicatement posé dans les bras de ma mère. Le cheval était prêt à partir, mais mon grand-père n’a pas eu à aller chercher le médecin ; il sera fort ce petit, dit la sage-femme.
Mon premier bain a eu lieu dans l’Atlantique. Les quatre adultes qui orienteraient ma vie descendirent vers l’océan au milieu des orangers en fleurs – est-ce depuis ce petit-matin que j’aime ces arbres dont les fleurs indiquent que les fruits de la saison précédente sont arrivés à maturité ? Je ne sais pas, mais je suis ému chaque fois que je vois cohabiter sur un arbre des fleurs et des fruits. Dans mon jardin à moi, le fourbe serpent n’a pas sa place et nul n’est forcé à l’exil.
Le bain une fois achevé, on m’enroule dans les peaux de moutons et des vers sont récités, entre flux et reflux; il sera heureux ce petit, dit le mari de la sage-femme.
En remontant vers la maison, les adultes me font longuement visiter cette douce pente qui tient autant du verger que du jardin. Ils se réjouissent de ma naissance, ils se réjouissent des récoltes prometteuses.