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Novembre est une fleur flammes – VIII

Ils arrivent dans la ville d’eau en fin d’après-midi, un moment idéal pour aborder une ville, voir son rythme changer, ses rues s’animer, ses bars se remplir et, à cette saison, ses lampes s’allumer, une sorte d’intimité collective qui s’installe.

Ils ont choisi la rive gauche, la rive de la gare principale, la rive du quartier belge. En réalité, elle lui a demandé d’aborder Cologne avec elle comme il avait l’habitude de le faire quand il venait seul. Alors il a mis le cap sur la gare et ils mangent une saucisse accompagnée d’une Kölsch à un stand d’où ils voient la cathédrale.
– J’aime ce moment du jour, je suis toujours ému d’assister à ce baisser de lumière, à ces lueurs qui se croisent, l’orange et le bleu violet qui descendent tandis que montent les noirs, avec parfois le clair des nuages qui s’en mêle; ça me renvoie à ce mélange d’euphorie et de peurs de mon enfance.
Elle l’écoute sans un mot, sans le regarder, elle fixe les deux tours; pense-t-elle aussi à des crépuscules passés? Il ne sait rien de son enfance, ou si peu de chose, lui en parlera-t-elle un jour? Pour l’instant, on dirait que ce soir quelqu’un d’autre écoute. Lorsque le noir a pris le dessus, les vitrines et les lampadaires de la place sont allumés, la gare est un immense phare au bord du Rhin, mais la cathédrale reste plongée dans les ténèbres. Cela ne dure qu’un instant. L’intérieur du monument s’allume d’un coup, colorant les vitraux d’une lumière chaude, puis les projecteurs prennent le relais du dehors, léchant les flèches et les murs d’une lumière plus froide. Alors qu’ils s’enfoncent dans les rues, elle lui attrape la main et lui demande:
– Penses-tu que le fonctionnaire ou le sacristain en charge de l’éclairage t’a entendu?
Il serre sa main et l’entraîne vers l’est, le quartier belge, le quartier cousin.
Il est heureux de retrouver ses marques sans peine dans ces rues à la fois étrangères et familières. Il n’a jamais aimé qu’on vienne le chercher à la gare, ne pas déranger, se débrouiller tout seul, découvrir, s’immerger quitte à se perdre, zigzaguer tout en gardant le cap. Ils arrivent sur la Place de Bruxelles où trône l’église Sankt Michael. Il retrouve sans peine l’épicerie tenue par le couple afghan que son cousin fréquente, il ne veut pas arriver les mains vides. Ils achètent des saucisses blanches, qu’on pochera au petit-déjeuner – elles sont si bonnes avec de la moutarde douce –, une bouteille de sinalco, un pot de cenovis, des barres ovo et une plaque de chocmel; personne ne sait exactement pourquoi on trouve un tel degré d’exotisme dans ce quartier – peut-être à cause des étudiants Erasmus? – mais tout le monde appelle ce commerce la caverne d’Ali Baba.
Non loin de la caverne il y a toujours ce bar minuscule tenu par un Turc ami du cousin, ils entrent pour un café.
Le patron reconnaît aussitôt celui qui a passé de si longues heures à lire et à écrire derrière sa vitrine qui donne sur la place de Bruxelles, dans son souk minuscule, son enclave stanbouliote.
– Ton cousin est parti mais il m’a laissé la clé, il sait que tu aimes venir chez moi quand tu habites chez lui.

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