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Novembre est une fleur flammes – VI

Rien de notable ne se passe entre Bonn et Cologne, ils prennent pourtant de nombreuses notes entre ces deux villes – en formes, en couleurs, en mots, en chiffres – dans leur tout nouveau Journal des rivesDe loin on pourrait croire qu’ils lambinent, ce qui ne serait pas tout à fait faux, mais de près on constate qu’ils prennent grand soin à réaliser une sorte de programme dont on trouve la légende sur la première page.
A la couture de chaque double page ils ont dessiné le fleuve, le plus précisément possible, une épaisse bande bleue, rectiligne et sinueuse, droites et courbes, boulevard entre méandres. Des plages de couleurs indiquent la substance des rives: localités, jardins, vignes, champs, forêts, zones industrielles, et caetera, et caetera. Pas de relief ni de réseau, juste des rives mises à plat, avec des traits blancs ici et là, tillés pour un bac, pleins pour un pont. La bande bleue qui serpente dans ce patchwork coloré commence à Koblenz et vise Cologne, peut-être au-delà. Dans les couleurs on peut trouver des mots, en noir ou en blanc, parfois les deux, façon yīn et yang, des précisions sensibles ou des commentaires opposés, chacun avec une écriture différente: hameau pittoresque / petit village factice, genre Tintin au pays des soviets. On trouve aussi des chiffres, qui renvoient à d’autres pages; sur l’une de ces pages on voit une maison qui est à deux pas de la fourche d’une rue, avec son petit portail entouré de deux jeunes peupliers, son allée de gravier, ses six marches et une vieille porte en bois en haut du perron; on a donné un nom aux peupliers, Evi et Leo – petits peupliers deviendront grands. A côté de son dessin, Heinrika a écrit un texte.
Les couleurs des rives semblent dire que Cologne s’annonce encore plus tôt que Bonn, que c’est une ville beaucoup plus grosse, une ville qui reflue vers l’amont, le bâti s’accélère, la nature ralentit. Les bateaux sont plus nombreux sur le fleuve et semblent foncer vers une ligne d’arrivée. Dans un méandre étroit un bateau de croisière  – De Bâle à Amsterdam avec Monsieur Jardinier – se déporte pour doubler un chaland, les passagers applaudissent mais le chaland ne bronche pas, à l’image de son amiral qui fume la pipe comme dans Petzi.
Tout comme Heinrika, Gaspard met beaucoup de soin dans sa tâche, cette sorte de cartographie des rives, mais il y met quelque chose en plus, comme pour essayer de retenir le temps; c’est qu’il arrive au bout d’un rêve, Gaspard, aller chez ses cousins en suivant le fleuve, et la ville des cousins s’annonce. Il est un peu inquiet, Gaspard, qu’y a-t-il après les rêves? Heinrika lui prend son crayon, attrape sa main et l’entraîne vers l’aval de son pas décidé; assez colorié! semble-t-elle lui dire, marchons de conserve vers la ville rêvée.
Et ils marchent main dans la main le long de l’épaisse bande bleue, tantôt rectiligne tantôt sinueuse, virent à bâbord dans le dernier méandre et se laissent porter par le boulevard qui entre à Cologne.

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