Novembre est une fleur flammes – I
Chrysanthème signifie littéralement « fleur d’or ».
Nos novembres d’enfants commençaient toujours au milieu des chrysanthèmes dorés, ces fleurs flammes qui dès le XIXème siècle remplacent peu à peu les bougies sur les tombes des cimetières de novembre. Pour visiter nos tombes qui se trouvaient en territoire papiste, nous quittions le pays des Bourla-Papey où l’histoire nous avaient menés en traversant le noir Jorat.
Le cimetière que nous arpentions – dans un gros bourg agricole, chef lieu de son district – se remplissait pour quelques heures des gens du pays et de la diaspora. Je crois que c’est dans ce cimetière que j’ai vraiment compris que ma famille était d’ici – mes familles –, en écoutant mes parents parler à leur fratrie, à leurs cousins, aux amis, aux copains, aux anciens voisins. J’aimais écouter les adultes parler de leur enfance, entendre qu’ils bavardaient à l’école, riaient au catéchisme, chantaient durant le mois de Marie et ramassaient des fleurs le long des chemins ou de la dent-de-lion pour les lapins. J’aimais que mes parents nous présentent à leurs connaissances, proches ou lointaines:
– Celui-là c’est le dernier, il est de décembre il y a deux ans, comme tu le vois le prochain est pour bientôt, décembre aussi, nous autres catholiques on fait nos enfants au printemps, juste avant ou juste après Carême!
Eclats de rire dans le cimetière, plein à craquer, dessus et dessous, dans les allées de gravier et sous les pierres.
Dans notre cimetière de novembre il y avait foule – joyeuse, dorée, bigarrée –, une foule qui traînait comme on traîne avec plaisir sur une place un jour de fête. Pourtant c’étaient la Toussaint ou la Fête des morts et nous étions venus pour allumer des chrysanthèmes sur nos tombes, dans ce cimetière entouré de peupliers flambeaux. J’aime les arbres qui s’allument avant de se dénuder pour l’hiver, ces arbres qui nous rappellent que l’hiver n’est pas repos éternel, mais simple prélude du printemps.
Je ne veux pas reposer dans un cercueil, j’aimerais que mes cendres soient dispersées dans une forêt de mélèzes, un beau jour d’automne; et si je meurs au printemps, j’attendrai dans une urne que les mélèzes s’allument et je sortirai pour me préparer à passer l’hiver avec eux.
Oui, novembre est une fleur flammes, ces flammes qui annoncent le noir de décembre.