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Octobre est un foyard – XXVI

Ils rentrent bredouilles de leur dérive – ils se font de plus en plus à l’idée de quitter Koblenz à pied –, bredouilles et affamés; depuis les brioches du matin, de l’eau a coulé sous les ponts.
Du haut de la rue, une subtile odeur de poisson leur chatouille les narines, avec une nuance d’ail selon Heinrika, oui et un peu de persil, rajoute Gaspard, Heinrika lève les yeux au ciel, Gaspard feint de ne rien voir.
Au moment où le capitaine entend la porte de la pension s’ouvrir, il gueule depuis la cambuse:
– Je jette les pâtes dans l’eau, dites aux moussaillons de se laver les mains et de passer à table!
Les moussaillons ont entendu, se lavent les mains et rejoignent les autres à la salle à manger où ils sont en train de finir l’apéritif. On leur tend un verre de vin, ainsi que les trois olives et les quatre grissini qui restent. A peine ont-ils avalé la dernière demi-olive – les olives étaient grosses, fourrées à l’ail et au basilique – que le capitaine, rubicond, pose au milieu de la table un magnifique plat fumant composé de spaghettis, de petits morceaux de seiche, d’une sauce à l’encre de seiche relevée d’ail et de persil, précise-t-il.
– Quelqu’un n’aime pas les pâtes al dente? demande-t-il du bout de la table.
Ce soir, c’est en effet le capitaine qui préside le souper, le repas sera sans doute plus joyeux que sous la présidence de Colette, la clarisse dont plus personne ne cause, et pour cause. Curieusement, personne ne pense à chanter le benedicite.
Personne ne répond au capitaine; on sent dans ce silence une pointe d’impatience et un brin de rivalité, deux assiettes s’entrechoquent dans la mêlée, le capitaine y remet bon ordre et commence à servir les femmes, par rang d’âge, pour éviter des jalousies, donc une guerre, façon poire belle Hélène, puis les hommes, du moins gradé au plus gradé – comme dans l’armée suisse, se dit Gaspard, d’abord la troupe –, donc il se sert en dernier et lance les hostilités d’un tonitruant Bon appétit! auquel chacun répond en plantant sa fourchette dans sa gamelle avec force et détermination. On commence par manger religieusement, les papilles chauffent, les visages s’illuminent un à un et les compliments fusent:
– Oh la la, que c’est bon, mais les mots me manquent, oh la la!
– Magnifico!
– Divin!
– Le petit Jésus en culottes de velours!
– Ventre-saint-gris, c’est à damner un saint, ce plat-là!
– Je dirais même plus, à damner une sainte! Les femmes sont plus saintes que les hommes, je l’ai encore lu dans le journal du dimanche, le supplément féminin.
– Oh la la!
– La manne céleste devait être bien fade à côté de ce plat-là, si goûtu, et tout, et tout!
– Capitaine, l’Empereur du Japon aurait besoin d’un chef comme vous!
– N’en faites pas trop quand même, les enfants, et au diable vos expressions religieuses, j’y crois pas! dit le capitaine, du noir plein la barbe et la moustache (car l’encre de seiche est noire, même avec de l’ail, du persil et de l’huile d’olive extra vierge pressée à froid). Il rajoute:
– Merci de vos compliments, mais n’en jetez plus, promis y aura du rab, mais d’abord un entremets, moussaillons, une histoire de mon cru.
– C’est chouette de souper à la table du capitaine, dans le carré des officiers, lance Gaspard, y a du persil, des histoires et on est rond!
Le capitaine reprend au vol:
– Vous ne croyez pas si bien dire, moussaillon, jugez plutôt:

(à suivre ;- )

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