Blanc comme janvier – XIX
Mais il y avait aussi une autre chose qui avait fait venir le jardin dans la conversation, et qui l’avait fait devenir une occasion supplémentaire de se voir chaque jour. Le carnet. Celui qui était posé le premier jour sur la table, celui qu’il avait regardé ouvert à la double-page du plan, celui qui lui avait permis de garder les yeux baissés, avant d’oser les lever sur elle.
Maintenant, elle lui explique que le potager est devenu trop grand pour deux, qu’elle veut le réorganiser, moins de plates-bandes de fruits et de légumes, plus de fleurs, peut-être un étang et des espaces pour les bains de soleil. Elle a eu des doutes -dont elle ne lui dit pas l’essentiel, juste ce qui concerne le jardin-, mais maintenant elle est sûre de vouloir qu’il trouve un autre jardin à son retour -car il va revenir-, dans le courant de l’automne a-t-il laissé entendre durant leur dernière nuit, lorsque leurs ombres ont raconté sur le mur de la chambre la plus vieille histoire du monde -elle ne lui parle que du courant de l’automne.
Elle lit sur son visage comme un soulagement, sans doute avait-il peur qu’il arrive et les surprenne ensemble, là, devant le feu. Elle lui dit alors qu’elle est contente de lui parler, et qu’il le serait aussi ; à force de le saluer, et d’être salués par lui, ils ont senti qu’ils avaient des choses à partager avec lui. Il écoute, sourit et dit que c’est exactement pour cela qu’il est venu, qu’il a osé venir, pour partager, mais qu’il appréhendait, alors il avait attendu qu’elle soit seule. Il lui explique pourquoi, le dernier prof, l’école, le bégaiement, la vie des chantiers. Maintenant il n’appréhende plus et se réjouit même de parler aussi avec lui, dans le courant de l’automne.
Il n’ose pas lui dire le premier jour qu’il a une autre idée pour le jardin, lui qui n’en a jamais eu un à lui. Peut-elle comprendre qu’il attend depuis des années d’avoir son jardin à lui, un espace pour reproduire, mais à sa manière, le jardin de chez son grand-père, entre Lagos et Faro, au bord de l’océan, là-bas, au sud du sud ?
Et une autre chose le gêne encore. Une nuit d’été, il a vu leurs corps clairs dans le jardin, mêlés dans la pénombre sans lune, mêlés pour raconter la plus vieille histoire du monde, dans l’herbe humide, sous le pommier.