Plus que 365 jours… (185/365)

Septembre… – II

[journal du marcheur – extrait]

C’est un son et un goût qui font revenir les couleurs.

Alors que je prends le frais au pied d’un arbre, du bruit me tire de ma rêverie: un seau en fer blanc qu’on traîne sur de la pierre puis l’anse qui tape contre le seau, fer contre fer. Je m’appuie sur les mains pour me redresser quand je sens des fruits sous mes paumes, des mirabelles; elles sont écrasées mais ont bonne façon, pas de vers, pas de pourriture, je les mange, me lèche mains et babines et me voilà transporté dans le jardin voisin, à l’époque de mes sept ans.

J’aimais rentrer de l’école en passant par le jardin des voisins, un charmant couple sans enfant, des humains merveilleux – Jeanne et Paul. Ils nous considéraient un peu comme leurs enfants, mes frères et moi, ainsi avaient-ils décrété que les fruits de leur jardin, qui était immense, étaient aussi nos fruits. Nous nous servions généreusement, en particulier de pruneaux, mirabelles et reines-claudes, dès les vacances finies; en retour Jeanne et Paul nous demandaient simplement de mettre les fruits gâtés dans un seau en fer blanc posé sous un prunier et, lorsque le seau était plein, de le vider dans le compost. J’accomplissais méticuleusement cette tâche, aimant fouiller dans l’herbe, observer la vie qui se cachaient dans les fruits gâtés, le festin des vers, le vol stationnaire des insectes. Lorsque j’avais vidé le seau sur le compost, en haut du jardin, j’aimais m’asseoir sur le mur de pierres qui était au-dessus, limite entre notre jardin et celui de Jeanne et Paul. Mes yeux faisaient des allers et retours entre l’horizon et la nature morte du compost. J’étais fasciné par les couleurs de la vie finissante et  cherchais à les retrouver dans le paysage. Certains jours, le vert des reines-claudes se retrouvait dans celui du lac par temps de bise, les montagnes de Savoie prenaient le bleuté des pruneaux, surmontées d’une fine couche de nuages blancs semblables à la mousse qui couvre les fruits pourrissant, une mousse légèrement teintée de jaune, comme celle des mirabelles; on aurait dit des montagnes au beurre d’alpage avec, par-dessus le beurre frais, des coussins gris de nuages dans les mêmes tons que les pierres qu’on avait taillées pour construire le mur sur lequel j’étais assis, face au paysage, au-dessus du compost parfumé.

Appuyé à mon mirabellier, quelque part en Alsace, je me dis que septembre est une salade de prunes, tandis que le Rhin reine-claude coule vers le nord et que je file vers Heinrika.

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