Plus que 365 jours… (143/365)

Trompettes de juillet – III e

Le silence qui suit la conclusion de Paola n’est pas court. S’il fallait le qualifier mieux, ou plutôt avec davantage de précision, on devrait ajouter qu’il est également épais et lourd. Bref, un de ces silences difficiles à briser, un de ces silences qu’on essaie parfois de faire voler en éclats d’un rire sarcastique – voire  hystérique – ou avec des salves de mots mal articulés car sortant trop vite, sans réflexion, ni syntaxe ni diction. Ces silences-là doivent d’abord être écoutés, réécoutés et longuement digérés avant d’être transformés, éventuellement, en énergie positive. Faute de ces étapes, il ne peut en sortir rien d’autre que quelque chose de comparable à l’ultime résidu que produit toute digestion animale. Et dans certains cas, ce résidu se fossilise et on l’appelle coprolithe.
Giuseppe n’est pas encore un fossile, mais on reconnaît avec peine celui qui affirmait il y a quelques minutes encore que les nuits blanches lui foutaient la pêche, celui qui se moquait de la fatigue de sa femme comme un jeune-homme se moque de la fatigue de sa vieille mère. Il n’est plus guilleret Giuseppe, mais plutôt triste et accablé. Il a quand même la force, Giuseppe, et le mérite, de prendre la responsabilité de lancer le processus qui peut transformer ce silence long, épais et lourd en quelque chose d’autre. Alors il prend la parole, Giuseppe, et commence à faire sortir de lui des années de silences, des années de choses accumulées en lui, ces choses qui l’alourdissent et menacent de  le faire sombrer.
– Chers amis, chère Paola, toi que j’ai envie d’appeler ma fille et de serrer dans mes bras, je me rends compte, moi, le vieux Giuseppe, que j’ai la prétention de vouloir faire parler les gens de la migration, d’ouvrir les yeux des uns et des autres – Les Yeux Fertiles – alors que je ne connais ni cette bibliothèque interculturelle ni ces femmes solidaires et le lieu où elles se rassemblent; pourtant ces lieux sont nés de la migration, pourtant c’est la migration qui m’a amené ici il y a plus de cinquante ans, alors quoi, d’où vient mon ignorance?
Il se tait, réfléchit et reprend la parole.

[à suivre…]

 

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