Trompettes de juillet – III b
– Voici ce que l’on pourrait imaginer pour faire sortir ces histoires, dit Pierre, ce n’est qu’une première idée, mais il faut bien partir de quelque part…
– …comme tous ceux qui migrent, ajoute Marguerite.
– En t’écoutant raconter, mon cher Giuseppe, quelque chose m’a soudain semblé trivial, évident: avant de satisfaire nos papilles et nos estomacs, la nourriture délie nos langues. En réalisant ces sublimes nepitelle, Paola et Giuseppe, vous avez fait ressurgir le passé: des recettes de familles – je me réjouis de goûter la recette de ta tante, Giuseppe, ajoute malicieusement Pierre –, des bribes d’histoires de migrants, le passé de cette ville, bref une sorte de mémoire collective, presque universelle. Il me semble que nous devrions organiser des ateliers de cuisine, chercher parmi ceux qui sont venus dans notre pays – qui est souvent devenu leur pays – des volontaires désireux de partager leurs recettes. Délier les langues par l’action, ne surtout pas dire que nous voulons faire émerger des récits, laisser venir les choses, patiemment, comme un levain transforme en pain de la farine, de l’eau et du sel. Imaginons ce qui peut sortir d’une recette, d’une recette de fête par exemple. Cel.ui.le qui la réalise se met à parler de cette fête liée à la culture d’où il vient, de cette culture qu’il a quittée, des raisons pour lesquelles il l’a quittée, des circonstances de son départ, de la façon dont il a été accueilli ici, ou rejeté, de la façon de garder sa culture tout en essayant de s’intégrer, des fêtes d’ici, des fêtes de là-bas, des gens d’ici qu’on a envie d’inviter partager sa culture, des gens d’ici qui nous ont invités à partager leur culture, et ainsi de suite. J’ai la conviction que si l’on réussit à créer un climat de confiance, des lieux de partages, les histoires vont venir toutes seules, comme ils sont venus eux, ceux qu’on appelle les migrants alors qu’ils sont arrivés depuis longtemps et que souvent on est allé les chercher. Qu’en pensez-vous ? demande Pierre en saisissant son verre, comme pour reprendre son souffle.
[Dans la cuisine il n’y a plus que de l’enthousiasme, la nuit a l’impression que tout le monde veut répondre en même temps, commenter, compléter avec de nouvelles idées; alors la nuit se prépare à être longue, mais pas noire.]