Plus que 365 jours… (108/365)

Neige de mai – XI

Les jours de cahier noir ne sont pas que les jours de pluie puisque l’on peut être pieds nus sur les pavés de la terrasse – ces gros pavés de granit –, les dos appuyés au mur de soutènement, quand le soleil vient un jeudi, et si le soleil vient un autre jour, Gaspard est seul à sa table, mais ces jours-là Heinrika prend plus de pauses – avec au, pas avec o. Les jours de cahier noir sont en fait tous les jours, ces jours que le marcheur a choisi de passer ici en attendant l’ouverture du col. On se souvient que ses lieux d’écriture dépendent de la météo – la chambre, la terrasse et d’autres coins ou recoins de l’auberge – mais aussi du besoin d’être absolument seul ; dans ce cas c’est la cave, quelle que soit la météo. Mais qu’en est-il de l’écriture du cahier, dépend-elle aussi du temps qu’il fait, donc des lieux d’écriture, donc de la solitude ou de la compagnie ? Mais où est-il vraiment seul dans cette auberge, celui qui écrit et qu’on héberge ?

[cahier noir – extrait]
Jeudi de soleil. Du jaune et du noir se mélangent sur notre table, mais sous la table pas de mélange, nos pieds sont timides comme ce petit soleil de mai, ce mois de mai qui porte bien mal son nom cette année. Pourtant le plaisir est là, partagé. Quand H. me rejoint sur la terrasse – le jeudi on m’interdit la vaisselle, le marcheur qui attend a aussi droit à son jour de congé, affirme Odile –, je suis en train de relire un texte que je viens de rédiger, un texte sur le vent né d’une phrase tirée de mon carnet. Avant de s’asseoir elle lit par-dessus mon épaule, à voix basse, mais mes oreilles ne perdent aucun de ses murmures, aucune des nuances de sa voix. Puis elle s’assied, défait l’élastique de son carnet – celui commencé par Andreas –, ouvre le carnet, le fait pivoter et le glisse vers moi ; son dessin est une invitation à l’écriture. Avant de dialoguer avec ses traits sur l’espace blanc qu’elle m’a laissé, je lui tend mon cahier noir ; mes oreilles ont saisi que mes mots lui donnent du souffle, qu’elle désire prolonger ces mots de ses traits.

 

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