Neige de mai – VII
Jour de pluie, pluie-neige par moments. Juin approche mais pas l’ouverture du col, affirme Anton, la date reste incertaine ; on dirait que cette année le col a besoin d’hiberner davantage, c’est qu’il n’est plus tout jeune notre Gothard, presque huit siècles, sans compter la géologie. Au fil des années passées ici – à travailler, à marcher, à observer – j’ai commencé à me dire que le col et les éléments dialoguaient, aujourd’hui j’en ai la certitude. Peut-être que Saint Gothard y est pour quelque chose, ou pas. Je me plais en tous cas à imaginer que cet infatigable marcheur, cet évangélisateur constructeur d’églises, veille sur ce passage, ce lieu qui accueille, abreuve, nourrit, héberge ; cinq mois de travail sans un seul jour de congé, ça éreinte, et sans doute qu’avec les siècles, le col fatigue, comme la route – et il s’y connaît Anton, il est cantonnier. J’aime l’idée que, avec ou sans la bénédiction du grand bénédictin, le froid prend de multiples formes pour prolonger le repos du col ; la glace, un matelas, la neige, un duvet, le vent, une berceuse.
Dans son coin des jours de pluie, Gaspard écrit, fait remonter les souvenirs, les fixe ou s’en inspire, laisse dériver sa plume. Mais chaque journée d’Hospental commence ou se termine – c’est selon, et parfois c’est les deux –, par quelques heures de marche, histoire de ne pas rouiller mais aussi de ne pas s’empâter. C’est qu’elles le gâtent le Gaspard, Odile et Heinrika, et comme tout lui profite au Gaspard, il ne marche pas que pour le plaisir le Gaspard, il fait fondre le surplus pour grimper plus léger, à moins qu’il ne prépare la place pour de prochains gueuletons, le Gaspard. Göschenen et retour est devenue sa balade de santé, au Gaspard, et quand il passe dans les gorges de Schöllenen – à l’aller comme au retour – il n’a pas de mauvaise pensées le Gaspard, il se dit plutôt que la Reuss est forte en gueule et que lui c’est en gueuleton qu’il est fort, le Gaspard. Peut-être devrait-il gueuletonner avec la Reuss, le Gaspard, et plus si entente, mais il pense à des mots, il écrit dans sa tête – quelle tête ? – en parcourant son paysage tout à la fois fluide et nival, souple et minéral, liquide et glacial, sculptural.