Chai maison

Ce matin, crachin.
Eau, appeau.
Mettre ses bottes, mettre les bouts.
Dénivellation, sueur,
gradation, cataracte;
vigie de bâbord: « On m’la fait pas! »,
caoutchouc de tribord: « Voie d’eau à la proue! ».
Ecoper, rentrer sous déluge -sans précipitation.
Egoutter cache-oeil, secouer chapeau,
essorer chaussette, enclencher bouilloire.
Songer à changer cuissardes
en sirotant thé aromatisé.

                                                              Nicœdème

Théâtre de rue

La vitrine est un écran glacé.
Elle renvoie sur mon buste le froid du dehors;
seins de glace ?
Elle offre à mes yeux figés
le spectacle de la rue,
mais aussi le reflet d’un gaucher songeur;
mauvais larron ?
La vitrine est un écran glaçant.
Elle offre à des yeux mobiles et pressés
le spectacle de l’écriture.
Du verre, une cage, Georges.
– Si ?
– Mais non !

Momo, gaucher narcissique

Visions du monde

Ces temps, lorsque je marche dans le brouillard, mes yeux jubilent, mais chacun pour une raison opposée à celle de l’autre, alors ils s’embrouillent. Le gauche se sent dans son élément et se vautre, le droit goûte aux joies de l’extrême, il se croît le seul guide.
S’estimant un brin responsable de cette dérive, le gauche se croît obligé de déclarer au droit:
– Je reviendrai bientôt, tu verras, et tout ira mieux!
Et l’autre de rétorquer à son double embué:
– Mais tout va bien, je ne me plains pas, et d’ailleurs de quoi me plaindrais-je? Aussi loin que je me souvienne, je n’ai jamais pu compter sur ma gauche!
– Mets-moi un cache-oeil tant que tu y es, ça clarifiera ton sale jeu!
– Tu veux que je lève le poing pour t’indiquer le droit chemin?
En général, j’interviens juste avant que ça tourne au beurre noir; une réplique suffit:
– La ferme ou je vous ferme!
Mes yeux obtempèrent immédiatement, car ils savent que mes pieds connaissent ces chemins aussi bien qu’eux, de plus, ils sont claustrophobes. Ils craignent également la concurrence d’Argos, ma béquille noire et blanche, dotée de quatre pattes et de deux yeux.
Quatre et deux six.

Nicœdème

Du monde au balcon

J’ouvre les volets, brouillard partout.
Mon oeil gauche aurait-il une fuite?
Vérifions l’acuité du globe droit.
Il tourne, scrute le théâtre du monde et,
tel un aimant, se fixe sur deux sphères
qui ondulent face à l’est;
on dirait une danse incantatoire.
C’est le buste nu d’une femme
qui doucement s’étire à sa fenêtre.
Pour qui? Pour quoi?
Sans doute pour provoquer le soleil.
Dans mon dos, une voix questionne:
« Alors, tu va mieux? »
Doucement, je referme les volets
et j’espère que ma muse n’a rien entendu.
Deux et deux quatre.

Nicœdème

Mauvaise mine contre mauvais jeu

Enfant déjà, j’aimais les gares. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que je fréquente les buffets. Et en général ça ce passe bien, mais pas ce matin-là.
J’allais entrer pour un classique -café, croissant et vitamine orange- quand une armoire à glace me barre le passage. Il approche ses yeux injectés de sang de mon visage, le scrute et éructe:
– C’est à vous cette valise sous l’oeil gauche?
L’atmosphère n’étant pas à la plaisanterie je lui réponds que oui. S’en suit une avalanche de questions:
– L’avez-vous remplie vous-même? Un inconnu vous a-t-il confié un paquet dont vous ignorez le contenu? L’avez-vous laissée un instant sans surveillance permettant ainsi à un autre inconnu d’y glisser des armes ou des explosifs? Depuis que vous l’avez bouclée, un troisième inconnu l’a-t-il touchée? Avez-vous été suivi entre votre domicile et la gare? Pourquoi l’oeil gauche?
L’atmosphère n’étant toujours pas à la plaisanterie, je renonce à lui suggérer de se faire suivre, je lui tais ma passion pour les femmes à barbe, je me concentre pour ne pas éclater de rire et je réponds bien sagement, et dans l’ordre:
– Oui, non, non, non, non, je ne sais pas.
Il me scrute encore et poursuit:
– Elle est quand même bien rouge votre valise, vous êtes sûr qu’elle ne va pas péter? Je peux vérifier?
Et avant que je puisse dire quoi que ce soit, ce con me tape dans l’oeil!

Nicœdème

Fig. 1 Valise d'oeil (en rouge)
Fig. 1 Valise d’oeil (en rouge)

L’homme et l’enfant

Seul sur un trottoir, devant un hôpital borgne, un homme hésite à entrer.
Il pleure, à l’unisson avec l’enfant qui se cache en lui.
Il fait mine d’avancer.
IMG_9337Il espère que de l’autre côté de ces lignes blanches il y aura des humains dans les techniciens.
Il hésite encore.
Et se souvient soudain qu’au bout de ces rails blancs, au-delà de cette longue avenue, il y a l’enfance, l’Hôpital de l’Enfance.
Mais il sait bien que là-bas, on ne peut plus rien pour lui.
Alors il pense à son frère et entre enfin, aussi vite qu’une aiguille dans le blanc de son oeil.

Nicœdème

Un oeil plus gros que le ventre

Quand je l’ai connu, on l’appelait encore Nicodème. Déjà il était rond, mais son oeil gauche n’avait pas encore pris le dessus sur son ventre. Puis tout a basculé, comme dans une fable de La Fontaine. Je n’étais pas présent à l’instant T, aussi ne puis-je pas vous livrer un témoignage recevable par les facultés (droit et médecine). Mais permettez-moi de partager avec vous ma conviction,  sous forme d’un bref texte que d’aucuns jugeront enfantin, alors que d’autres, à l’instar de la rédaction, y verront pure poésie, bien que sans rime.

Nicodème et Momo
Pharisien, Parisiennes, baguette,
Nicodème aime le pain et ses prochaines.
Des secondes il abusa, alors l’œdème monta
et vint gonfler son oeil sinistre.
Depuis on l’appelle Nicœdème.
Lorsqu’il a mal, Nicœdème pense à Momo,
des mots pour chasser des maux.
Citons l’autre poète:
« Des maux?
Des mots!
Des mots, moins de maux.
Plus de mots?
Plumeau, et tout s’envole! »

[La rédaction précise que Mots-Maux n’est pas schizophrène et encore moins atteint de troubles bipolaires. La rédaction profite d’avoir la parole pour faire remarquer à l’éventuel lecteur trop rapide, ou peu observateur, que Nicœdème -qui est aussi sain d’esprit- maîtrise l’art de la rime, lui. A bon entendeur salut!]

Momo , Nicœdème cité par Momo et la rédaction