Blanc comme janvier – X
Il s’était imaginé qu’il attendrait la belle saison, qu’il prendrait le temps, qu’il se préparerait, qu’il choisirait les mots, qu’il s’exercerait.
Cela fait longtemps qu’il a envie de leur parler, de leur dire plus que bonjour, il sent qu’ils ont des choses à partager. Mais les aborder par elle l’intimide moins. Lui ressemble trop au dernier prof. qu’il a eu, alors, on ne sait jamais…
Lorsqu’il avait enfin pu rejoindre ses parents en Suisse, il était entré à l’école, la petite école du quartier, avec toute la joyeuse cohorte des enfants de son âge. Comme eux, il n’était jamais allé à l’école, il commençait donc en même temps que les autres, avec les autres, sans handicap et plein d’espoir. Il était curieux, aimait dessiner et les livres l’attiraient.
Pourtant ça se grippa dès le début et personne ne le comprit. Il mit beaucoup de temps à apprendre à lire, on le força à tenir le crayon de la main droite, son accent faisait rire et le bégaiement s’installa. Au gré des redoublements, il perdit les quelques camarades qui le soutenaient et, sans savoir comment, se retrouva hors de l’école avant l’âge légal. Pourquoi le garder jusqu’à quinze ans révolus, avait dit le directeur, il n’y a plus rien à en tirer, et M. Michel refuse de le garder un an de plus, en trente ans de carrière, il n’a jamais vu ça, vous n’ avez qu’à le prendre avec vous sur les chantiers, on ne parle pas français sur les chantier, ou bien, et puis j’y pense, votre fils, il bégaie aussi dans votre langue, c’est déjà quoi votre langue ?
Qu’est-ce qui le décida à l’aborder le premier jour ? Sans doute la lassitude d’attendre, mais peut-être aussi le sentiment d’être prêt. Et maintenant que, souriante, elle lui faisait signe d’entrer, il était convaincu d’avoir fait le bon choix.