Enfant déjà, j’aimais les gares. Vous ne serez donc pas surpris d’apprendre que je fréquente les buffets. Et en général ça ce passe bien, mais pas ce matin-là.
J’allais entrer pour un classique -café, croissant et vitamine orange- quand une armoire à glace me barre le passage. Il approche ses yeux injectés de sang de mon visage, le scrute et éructe:
– C’est à vous cette valise sous l’oeil gauche?
L’atmosphère n’étant pas à la plaisanterie je lui réponds que oui. S’en suit une avalanche de questions:
– L’avez-vous remplie vous-même? Un inconnu vous a-t-il confié un paquet dont vous ignorez le contenu? L’avez-vous laissée un instant sans surveillance permettant ainsi à un autre inconnu d’y glisser des armes ou des explosifs? Depuis que vous l’avez bouclée, un troisième inconnu l’a-t-il touchée? Avez-vous été suivi entre votre domicile et la gare? Pourquoi l’oeil gauche?
L’atmosphère n’étant toujours pas à la plaisanterie, je renonce à lui suggérer de se faire suivre, je lui tais ma passion pour les femmes à barbe, je me concentre pour ne pas éclater de rire et je réponds bien sagement, et dans l’ordre:
– Oui, non, non, non, non, je ne sais pas.
Il me scrute encore et poursuit:
– Elle est quand même bien rouge votre valise, vous êtes sûr qu’elle ne va pas péter? Je peux vérifier?
Et avant que je puisse dire quoi que ce soit, ce con me tape dans l’oeil!
Nicœdème
