J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 48/x

Épisode 48
FICHÉ.E.S (mais pour la bonne cause!)

FICHE 373.5 chemin de l’Ondée 17 (2ème étage, gauche)
Catégorie toit à deux places
Type cheminée de cuisine (foyer ouvert)
Localisation pan sud, 3ème cheminée en sortant de la tabatière direction est, par-pluie rond et pointu en inox, amovible (visserie standard)
Remarque.s bien replacer le par-pluie après le ramonage, il a un peu de jeu (usure normale)
Habitant.e.s Albert V., 42 ans, divorcé, sans enfant, reconversion professionnelle en cours suite à un burnout
Soin.s COVID-19 soutenir Albert, l’amener à assouplir son auto-confinement, à être au contact de la nature, à écouter ce qu’elle a à lui dire
(Albert a décidé de rester strictement confiné, n’ouvre pas ses fenêtres, ne sort pas sur son balcon alors qu’il ne fait partie d’aucune catégorie à risques)

Toutes les entreprises de ramonages ne pourraient pas produire ce genre de fiche, mais celle de Bert, qu’il a reprise d’Hercule, le peut. Le patron, Bert donc, son employer, son apprenti et son ancien apprenti, Alcide – qui d’autre? – connaissent bien les clients, au fil des ramonages ils ont tissé des liens avec eux et, pour les clients qu’ils ne connaissent pas bien, ils se renseignent auprès de leurs amis – le lecteur a bien compris qu’avant le confinement les fiches ressemblaient à autre chose, on les a revues et complétées dès le confinement, heureusement qu’il y a l’informatique, et une lectrice qui comprend sans qu’on ait besoin de tout expliquer…
Mais des fois, ce sont les amis qui s’adressent au patron, comme Célestine, quelques jours après le séminaire (épisodes 41 à 47).

– Dis-moi, Bert, sais-tu si le locataire du 2ème gauche du chemin de l’Ondée 17 est atteignable par cheminée?
– Albert V. ?
– Oui, c’est ça. C’est le frère d’une amie, elle est très inquiète pour lui, il sort d’un burnout, s’est autoconfiné, n’ouvre pas ses fenêtres, ne se tient plus sur son balcon et, depuis quelques jours ne répond plus au téléphone, il se contente de communiquer, si l’on peut dire, par sms minimalistes du genre t’inkiet, tvb.
– Le bonhomme a une cheminée ouverte dans sa cuisine, un conduit tubé inox qui débouche pas loin de la tabatière, le gars est un taiseux, mais du genre pas antipathique, il aime la forêt, on en a parlé, il utilise beaucoup sa cheminée et ramasse tout son bois en forêt.
– Sa soeur aimerait bien lui parler, aller marcher avec lui, elle a des idées pour l’aider à se réorienter sur le plan professionnel, c’est ce qu’il souhaite, d’après ce qu’elle m’a dit.
– Oui marcher, ça aide à réfléchir. Regarde, c’est le livre que j’ai prévu d’offrir à Alcide qui aura 20 ans en juin – David Le Breton, Marcher la vie, un art tranquille du bonheur, éd. Métaillé, 2020 – laisse-moi te lire l’épigraphe du chapitre 2 qui s’intitule La route imaginaire: J’étais persuadé que ces canyons, ces buttes, ces mesas verdoyantes recélaient une sagesse et un équilibre corporel indispensables, dont on pouvait s’abreuver en arpentant la contrée l’esprit grand ouvert (Doug Peacock, Une guerre dans la tête).
– Fantastique! Et s’il ne veut pas marcher, qu’il sorte au moins sur son balcon, qu’il entre en contact avec le monde par ses sens. L’immeuble a deux étages, m’as-tu dit, couché sur son balcon il doit voir le ciel; les nuages pourraient lui faire du bien, comme à toi autrefois et comme à Alcide. Te souviens-tu de ces nouvelles de Barry Lopez dont j’ai lu un extrait au séminaire, l’autre soir? (épisode 44)
– Bien sûr! D’ailleurs il me faut ce livre!
– Tiens, je te le donne, mais laisse-moi d’abord te lire un extrait de la nouvelle Les bas-fonds [de la rivière]: Si vous regardez dans le ciel, tout droit, à huit ou dix miles, il vous est possible d’imaginer les marées atmosphériques, des océans d’air venant heurter le bord de l’espace dans un reflux et un flux dépendants eux aussi des phases de la lune. Je crois qu’il ne peut pas y avoir une très grande différence entre, disons être couché ici, sur les barres de gravier [de la rivière], et être couché sur le dos au fond de l’océan. Vous pouvez, à votre guise, retenir ou non cette manière de voir, sans crainte des conséquences. Les marées continuent, indifférentes.
– Fantastique! On a la base, allons broder une histoire sur ce toit, pour Albert.
– Oui, allons broder! Bert.
– Alors en route pour le chemin de l’Ondée 17, suis-moi, je t’emmène sur le pan sud du toit, 3ème cheminée en sortant de la tabatière direction est, par-pluie rond et pointu en inox, on ne peut pas la louper!

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