J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 45/x

Épisode 45
Séminaire.s (suite)
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[…] seul le grattement du crayon à papier de Bert le trouble; en fait il ne le trouble pas, il le souligne, ce silence profond, le crayon à papier de Bert, d’autant plus que dans son carnet il n’a pas fait qu’écrire, Bert, il a aussi tiré des traits pour relier des mots et pour tracer des plans.
Lorsque son crayon s’immobilise, Bert lève les yeux et regarde Alcide en train de le regarder; il y a dans ces regards croisés comme un accord, tous deux ont l’air de vouloir prendre la parole mais on dirait que Bert indique à Alcide de le précéder, qu’il est venu pour apprendre; c’est bien ce que comprend Alcide – les années passées ensemble sur les toits ont tissé une grande complicité entre le maître et son apprenti, une complicité qui sait se passer de mots – alors Alcide se lance:
– Qu’ajouter à cela, chers amis? Vous venez de montrer de façon magistrale que pour bien raconter des histoires, en lisant ou en brodant sur un canevas connu, il faut s’impliquer sans compter, puiser dans ses rêves ou des instants vécus, emmener avec soi l’auditeur, faire apparaître des images en lui, souvent infiniment plus riches que celles qui peuvent être imprimées dans les livres même si, je l’avoue, certains dessins de Bertil Lybeck (épisode 41) resteront à jamais gravés dans ma mémoire. Si je devais ajouter une seule chose, ce serait la question du destinataire; toutes les histoires ne conviennent pas à tout le monde, il faut choisir son public, je crois, et peut-être aussi s’adapter à lui, raconter une histoire c’est parfois dialoguer avec quelqu’un qui nous montre un autre chemin que celui qu’on avait prévu, avec ou sans mot, les silences sont essentiels; pas vrai, Bert?
Le visage de Bert s’éclaire, comme un lever de pleine lune – le lecteur ne le sait peut-être pas encore, mais le visage de Bert est tout rond –, alors il lui emboîte le pas, Bert, à Alcide:
– Vrai! Et, croyez-moi ou non, c’est bien là que je voulais en venir. Mais d’abord, les amis, merci, merci infiniment de ce partage, si vous pouviez feuilleter mon carnet, vous y verriez une sorte de révélation, celle qui s’est faite en moi grâce à vous; oui, nous sommes remplis d’histoires et parfois un petit rien suffit à les faire sortir, et les mots s’enchaînent, comme dans la vie. Autrefois (épisode 22), Hercule m’a probablement sauvé la vie sur un toit, mais sur ce toit il m’a aussi parlé et cette histoire, Alcide, remplie d’étoiles et de constellations, je te l’ai racontée sur un autre toit; par la suite, Hercule m’a appris le métier qu’il a mis dans ma tête une nuit sur un toit et moi, par la suite,  je t’ai appris le métier que j’ai mis dans ta tête un jour sur un toit et maintenant c’est toi qui me montre le chemin – malgré les mesures de distanciation physique, Bert se lève et prend Alcide dans ses bras, personne ne bronche, pas même les insectes qui se laissent happer en silence par les chauves-souris qui dansent telles des grues sur une montagne scandinave.

Passez de belles nuits et un beau dimanche, on se retrouve lundi pour conclure ce séminaire. Préparez-vous…

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