J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 44/x

Épisode 44
Séminaire.s (suite)
Des façons de parler des sons, des couleurs et des textures des NUÉES

– Quand nous grimperons sur un toit pour raconter une histoire, déclare Célestine – oui, faisons cela mon cher Eric, grimpons sur les toits raconter des histoires, suivons Alcide qui a suivi ses rêves, comme nous deux il y a presque quinze ans avec la maison de paille dans le jardin-verger – ce ne sera peut-être pas pour raconter la danse des grues, mais si cela devait être cet épisode du voyage de Nils, c’est bien avec toi que j’aimerais la broder, cette danse-là, mon cher Eric. Pour la broder, je reprendrais des broderies d’autrefois, celles qu’Alcide, ses soeurs et frères connaissent bien, et j’en ajouterais de nouvelles; on brode à partir de ce que l’on connaît et, toutes ces années, vous comme moi avons appris de nouveaux points de broderie, appris du ciel, appris des arbres et de leurs habitants, appris des gens que nous avons fréquentés, appris des classes vertes et appris de toi, mon grand petit Alcide. Un jour, tu m’as offert ce très profond recueil de nouvelles intitulé Le chant de la rivière. Dans l’introduction de ces nouvelles, l’auteur, Barry Lopez, y relate une expérience unique, permettez-moi de la partager avec vous, c’est très beau, je trouve. Et Célestine d’ouvrir un joli petit livre – paru en 2001 dans la Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs, Le chant de la rivière, Barry Lopez, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Adrien Le Bihan – et de se mettre à lire des mots de cet auteur qu’elle fréquente:
Une aube d’hiver pluvieuse, je me tenais debout sous des nuages gris, les bras tendus vers le ciel, ruisselant sous mes légers vêtements de coton, dans mon attitude rituelle, regardant fixement le sable à mes pieds et sur le point de formuler une prière, quand je sentis que des oiseaux se posaient sur moi. Je sentis d’abord le volettement de pluviers dorés contre ma tête, puis des tourne-pierre noirs atterrissant, doux comme des papillons, sur mes bras, et des phalaropes rouges aux sauvages visions arctiques, luttant contre le vent pour atterrir, aiguillonnant mes épaules de leur étreinte griffue. Leur brusque apparition venteuse, le raide frôlement d’ailes, les voix étrangères – murrelets qui se posaient sur mes bras, qui clignaient, qui clignaient leurs yeux jaunes, cocorlis, courlieux et avocettes qui sautillaient à mes côtés.
– Aux sons dont parle Selma Lagerlöf – Une de ces nuées se dirige maintenant brusquement vers Kullaberg en longeant la côte de l’Öresund et, arrivée à l’aplomb de l’aire de jeux, elle s’arrête, et en même temps se met à pépier et à gazouiller comme si cette nuée n’était constituée que de notes de musique – et aux couleurs qu’elle évoque  – Enfin la nuée entière, d’un seul mouvement, se pose et, l’instant d’après, la colline est complètement recouverte d’alouettes grises, de superbes pinsons rouge, gris et blanc, d’étourneaux tachetés et de mésanges vert et jaune –, j’ajouterais donc, poursuit Célestine, les textures de ces fractions de nuées qui effleurent, caressent ou griffent l’homme debout sur le rivage, mais aussi des noms de nuées sans doute inconnus en Suède, pluviers dorés, tourne-pierre, phalaropes rouges, murrelets, cocorlis, courlieux et avocettes, mais je ne suis pas ornithologue.

Le silence qui succède à la douce voix de Célestine est profond, seul le grattement du crayon à papier de Bert le trouble; en fait il ne le trouble pas, il le souligne, ce silence profond.

Le séminaire se poursuit demain, avec la voix d’Alcide et le crayon de Bert.

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