J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 43/x

Yggdrasil cycle 3, sur un arbre perché

Épisode 43
Séminaire.s (suite)
DORMIR À LA FRAÎCHE

C’est Eric qui rompt le silence – si je devais raconter cet épisode de Nils perché sur un toit, dit-il, c’est avec toi que je le ferais, Célestine, comme nous le faisions autrefois dans le verger pour Alcide et ses soeurs et frères. Tu te souviens Alcide, ce chapitre était l’un de vos préférés, combien de fois vous l’avons-nous raconté?
– Assez souvent pour qu’il soit gravé dans ma mémoire, non seulement je connais le texte original, mais je me souviens des broderies que vous y ajoutiez; Célestine brodait sur les oiseaux – j’aimais tellement ta voix flutée qui pépiait dans les arbres, et je l’aime encore! – et toi, Eric, d’une voix plus grave tu nous faisais rire en parlant des bousculades des lièvres, de la parade des cerfs et tu faisais surgir des animaux de nulle part, de vrais et de faux animaux, je me souviens encore du chasson, ce chat sauvage hérisson qui pouvait sortir ses griffes et rentrer ses pics, on riait et on avait peur, moi en tout cas j’avais peur, j’en ai fait quelques cauchemars; récemment d’ailleurs, j’ai fait un drôle de rêve, un rêve drôle en fait : je ramonais une cheminée, comme d’habitude, quand mon hérisson se bloque, je tire, rien ne bouge, j’insiste, des cris montent par le conduit, comme une bagarre entre deux animaux, d’abord je pense à deux matous qui se battent dans la nuit, puis je tends mieux l’oreille et je distingue clairement le couinement d’un hérisson et je comprends ce qui se passe, mon hérisson et devenu chasson, une sorte de chasson schizophrène, quand je tire, le hérisson assouplit ses pics pour remonter, mais le chat sort ses griffes et les plante dans le conduit et quand le chat rentre ses griffes c’est le hérisson qui plante ses pics, les deux veulent remonter, mais pas en même temps, alors ça bloque; découragé, je m’apprête à descendre du toit sans mon matériel quand surgit un type, de la cheminée d’à côté, que je venais de ramoner, il me dit, le type avec sa blouse blanche – blanche immaculée, preuve que je l’avais bien ramonée la cheminée d’à côté – vous avez un problème de chasson, Monsieur? laissez-moi faire; il saisit le câble du chasson et gueule dans le conduit – eh les gars, ça suffit maintenant, y’en a qui bosse la haut! il tire sur le câble et le chasson remonte, comme si de rien n’était et le gars en blouse blanche immaculée d’ajouter en me tendant la main, Séraphin Lampion, vétérinaire, psychiatre, assurances en tout genre plus tout ce que vous voudrez, malheureusement je ne suis pas remboursé par les caisses maladies, ça fera cent balles, et là, vous me croirez si vous voulez, mais mon chasson sort cent balles en s’excusant, en disant que c’est de sa faute donc que c’est à lui de payer et qu’il ne recommencera plus; Séraphin empoche le billet et me glisse à l’oreille avant de disparaître dans sa cheminée – votre chasson ment Monsieur, non, il est plutôt schizophrène, changez-le au plus vite, ou faites-le soigner, je connais une excellente clinique à la montagne, mais elle n’est pas remboursée par les caisses maladies.
Eclats de rire autour de la table (3 fois).
– Tu as vraiment rêvé cela, demande Célestine, ou tu viens de l’inventer ce rêve? – elle le connaît bien Alcide, Célestine, et Alcide le sait bien qu’elle le connaît, Célestine, alors il avoue en riant:
– Les histoires de l’enfance aiguisent l’imagination, et j’ai été gâté avec vous!
– Rassure-moi, s’exclame Astrid, tu es vraiment ramoneur, ou tu as dit ça pour me séduire?
Eclats de rire autour de la table (3 fois 3 fois, donc 9 fois).
– Oui, je brodais beaucoup, enchaîne Eric; dans ce chapitre, Selma Lagerlöf parle beaucoup des oiseaux et assez peu des animaux à quatre pattes, alors j’en rajoutais. Pour moi aussi ce sont les histoires de l’enfance qui ont nourri l’imagination, mais pas seulement. J’ai eu la chance d’être louveteau, puis éclaireur, la chance de camper, avec ou sans tente, et d’apprendre les sons de la nuit; les grands ne s’amusaient pas à nous faire peur, au contraire, ils nous rendaient la nuit familière, nous apprenaient à reconnaître la faune nocturne à ses différents cris, glapissements, hululements, à ses différentes façons de se déplacer, courses effrénées, pas menus, lentes reptations et, quand avec Célestine je vous racontais des histoires, je puisais dans ce répertoire nocturne car, on s’en souvient, dans le chapitre de la danse des grues les animaux se rassemblent nuitamment pour ne pas être vus des hommes. Aujourd’hui, avec Célestine, nous dormons toujours la fenêtre ouverte, ou alors sous l’avant-toit, ou alors dans l’herbe, aux pieds de tes soeurs et frères mon cher Alcide, les sons de la nuit sont notre luxe, hérisson, renard et compagnie, on a même entendu une fois, mais c’était il y a longtemps, un chasson qui ronflait dans la cheminée.
Eclats de rire autour de la table (9 fois 9 fois, donc 81 fois).

Le séminaire continue demain, prière de réviser le livret de 3 et celui de 9, et les autres aussi.

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