J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 40/x

Yggdrasil cycle 3, sur un arbre perché

Épisode 40
Contagion

Alcide était bien connu dans le bourg, honorablement connu, il y avait grandi, fait ses classes – officielles et vertes –, son apprentissage de ramoneur et il y habitait encore, même s’il travaillait pour un patron en ville; aussi ne fut-on pas très surpris de le voir à nouveau sur les toits du bourg, même s’il ne ramonait pas – on a vu ci-dessus qu’en ces temps de Grand Confinement même certains ramoneurs ne pouvaient plus ramoner – mais parlait dans les cheminées; il expliqua à quelqu’un ce qu’il y fabriquait et cela fit le tour du bourg, conformément à ce qui se passe en général dans les bourgs. Ainsi Alcide se remit à faire partie du paysage, les rares passants – les rues étaient peu fréquentées – le voyaient perché sur un toit, parlant joyeusement, ou gravement, ou les deux, on l’apercevait aussi depuis les fenêtres et les balcons – ces espaces qui étaient très occupés – ou alors depuis la file orange, celle du 2m, mais passons, sinon on va encore s’énerver.

Astrid était bien connue dans le bourg, honorablement connue, elle y avait grandi, fait ses classes, son apprentissage et elle y habitait encore, même si elle travaillait hors du bourg; mais on fut surpris de la voir sur les toits avec Alcide, même si elle ne ramonait pas – comment aurait-elle pu, elle qui n’était pas ramoneuse? – mais parlait avec Alcide dans les cheminées; elle expliqua à quelqu’un ce qu’elle y fabriquait et cela fit le tour du bourg, conformément à ce qui se passe en général dans les bourgs. Astrid qui s’était remise à faire partie du paysage dans la file orange – elle était au chômage technique et passait une partie de son temps à faire les courses pour des personnes strictement confinées de sa connaissance et à leur rendre de menus services – se mit donc à faire partie du paysage plus encore, et d’une nouvelle façon, sur les toits avec Alcide, pour parler aux gens strictement confinés.

Les histoires, ça nourrit, c’est bien connu, – oui, oui, lecteur, les histoires ça nourrit, même sans amour ni eau fraîche, et en plus ça a deux r – mais est-ce suffisant, même si ça a deux r? Non, clairement. Alors Astrid et Alcide livraient les courses et racontaient des histoires et, chaque fois que c’était possible – lorsque le conduit débouchait dans une cheminée ouverte, salon, cuisine, bureau, boudoir, et caetera, et caetera –, les courses descendaient par le même chemin que les mots, sauf qu’il fallait une corde. Et tout cela donna des idées dans le bourg. Bert, son employé et son apprenti se mirent à imiter à Alcide et des femmes du bourg se portèrent volontaires pour imiter Astrid, ce qui fit jaser, un peu, beaucoup, et caetera, et caetera. La femme de Bert était jalouse comme une tigresse – fauve vaguement cousin du couguar –, Bert monta donc toujours seul, l’employé était célibataire, originaire de Venise et s’appelait Giacomo, on ne le vit donc jamais perché deux fois avec la même femme, quand à l’apprenti, il venait d’atteindre la majorité, vous auriez vu ses yeux, deux braises incandescentes, mais passons, sinon on va encore s’énerver.

Faire les courses ça nourrit, c’est bien connu – n’est-ce pas lecteur? – et tout le monde peut le faire, Astrid le faisait, les scouts le faisaient, les petits-enfants le faisaient, les voisins le faisaient, les tigresses le faisaient, et caetera, et caetera, mais les histoires, c’est autre chose. Aussi, Bert, son employé Giacomo et l’apprenti aux yeux de braise demandèrent-ils à Alcide des les former – oui lectrice, aussi Giacomo, certes il savait raconter des histoires pour embobiner, mais pour les histoires qui  font du bien, il était nul, zéro de chez zéro – et Alcide accepta, il fut aidé par Astrid, naturellement, mais aussi par Vera et Célestine. Au pied d’Yggdrasil on organisa des séminaires de formation, des séminaires-repas, et l’Hermes Baby vert sauge reprit du service. Ensuite, il ne restait plus qu’à apprendre la partition, seul ou à plusieurs, et à grimper sur un toit, seul ou à plusieurs – non Bert, tu montes seul ou avec moi, disait la tigresse qui détestait raconter des histoires mais adorait en faire, des histoires, et devant tout le monde en plus, mais passons, sinon on va encore s’énerver.

Dire que le Grand Confinement devint joyeux dans le bourg serait exagéré mais, comme on le verra ces prochains jours, la dramaturgie baissa de plusieurs crans, et ce fut contagieux, au sens figuré, s’entend, mais passons, sinon on va encore s’énerver.

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