Yggdrasil cycle 3, sur un arbre perché
Épisode 39
L’île aux chats
Le lecteur qui aurait lu le titre pourrait croire que l’épisode 39 sera une pâle copie de l’épisode 37, genre papier carbone usé, percé, et caetera, et caetera. Eh bien non, lecteur qui a lu le titre, ce ne sera pas ça l’épisode 39, ce sera autre chose.
C’est autre chose, en effet, de raconter une histoire à deux voix. Certes les deux voix que nous avons – Alcide, ténor, Astrid, alto – savent conter séparément, mais elles n’ont jamais conté ensemble et, pour conter ensemble, il faut s’accorder. C’est vrai, chère lectrice, que l’on pourrait aussi improviser, mais pour improviser il faut maîtriser la matière et ces deux-là ne se connaissant pas encore bien, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils décidèrent donc de s’accorder, de la manière suivante: Alcide rédigerait la partition, Astrid s’occuperait du panier.s – on comprendra dans quelques lignes, ne t’énerve pas lecteur et surtout ne saute aucun mot pour arriver plus vite dans quelques lignes car là, à coup sûr, tu seras perdu. Alcide se mit à l’ouvrage au pied d’Yggdrasil tandis qu’Astrid fila.
Et nous voici sur le toit de Madame Rouge, dûment avertie, partition connue sur le bout du doigt, panier.s garni.s. Dans le conduit de la cheminée de Madame Rouge, les deux voix – Alcide, ténor, Astrid, alto – dramatisent, font enfler les angoisses des îliens, font rugir la mer, font miauler les chats, font crier les estomacs vides des enfants apeurés, et caetera, et caetera. Juste avant le dénouement, Madame Rouge se voit défaillir quand surgit du conduit un panier garni: salade d’écrevisses, et sa sauce italienne, langoustine et sa mayonnaise maison, filets de harengs crus et leurs pommes de terre à l’huile, le tout accompagné d’un petit blanc de pays, bien frais et, en dessert, une tranche de tarte aux pommes, du café bien chaud – dans une jolie bouteille thermos –, sans oublier le calvados, dans une mignonnette.
– Merci, mes enfants, votre histoire est délicieuse, mon brave Louis l’aurait adorée, dit Madame Rouge, la bouche pleine, par le conduit vide de sa cheminée de cuisine. Elle ajoute, et vous, vous avez déjà mangé?
En guise de réponse, elle entend des bruits de bouches, là-haut, à l’autre bout du conduit. C’est qu’Astrid n’est pas tombée de la dernière pluie, elle qui a quand même vingt-neuf ans, elle a garni deux paniers en faisant ses emplettes chez Maxime, un ami poissonnier, et comme Maxime est un peu amoureux d’elle, il oublie de typer un article sur deux, en moyenne – on résume: deux salades d’écrevisses sauce italienne, deux langoustines mayonnaise, quatre filets de harengs crus et deux portions de pommes de terre à l’huile, deux bouteilles de blanc du pays, bien frais, deux tranches de tarte aux pommes, deux jolies bouteilles thermos de café bien chaud et deux mignonnettes de calvados, ça nous fera cinquante francs, tout ronds, tu paies en liquide ou avec une carte?
Oui, lecteur, on trouve tout ça chez le gars Maxime qui est poissonnier et un peu amoureux d’Astrid; oui, lecteur, il est vrai que Madame Rouge eut plus à manger et à boire qu’Astrid et Alcide, mais rassure-toi, lecteur, ils complétèrent leur panier avec amour et eau fraîche – ça aussi, on trouve chez Maxime.