Yggdrasil cycle 3, sur un arbre perché
Épisode 35
L’été de mes 7 ans
Reprenons, si vous le voulez bien, l’histoire interrompue tantôt, l’histoire qu’Alcide raconte à Astrid dans son verger, au pied de Mirabelle, la soeur avec laquelle il a le plus d’affinités.
« L’été de mes 7 ans, j’ai reçu un couple d’oies pour compléter la basse-cour dont je m’occupais avec mes soeurs et frères, canards, poules, coq. Chacun son rôle, ou plutôt ses rôles; le jour, mes soeurs et frères abritaient les animaux du soleil ou de la pluie, laissaient tomber des fruits au sol pour compléter leur ration alimentaire – cinq fruits et légumes par jour – et parfois, les nuits de canicule, les accueillaient dans leurs branches pour dormir à la fraîche; en retour, canards, poules, coq et oies engraissaient le verger d’un fumier qui rendait l’herbe tendre, renforçait les racines des mes soeurs et frères et enrichissait nos buttes de permaculture; de mon côté je me chargeais de nourrir la basse-cour – graines, pain sec mouillé mélangé à du son, épluchures de fruits et légumes – cinq épluchures de fruits et cinq épluchures de légumes par jour –, limaces ramassées dans le jardin, et caetera, et caetera; je me chargeais aussi de la propreté de la cabane que j’avais baptisée l’arche de Noé, changer la litière, mettre de la paille fraîche dans les pondoirs, de l’eau fraîche dans les abreuvoirs, bref assurer la subsistance et faire le ménage, sans oublier d’ouvrir l’arche de Noé le matin et de la refermer le soir, je me levais et me couchais donc avec les poules, si l’on peut dire! – Astrid était un excellent public et ponctuait le récit d’Alcide de ah, de oh, de c’est pas vrai, de oh mon Dieu. En retour la basse-cour nous donnait ses oeufs, plus exactement ceux que les couveuses ne couvaient pas; nous consommions la plupart, sous toutes les formes possibles et imaginables et je crois que c’est aussi pour ça que je suis en si bonne santé – ah, oh, c’est pas vrai, oh mon Dieu! Et les oeufs que nous ne consommions pas, nous les vendions à Perrine (épisode 29) qui en faisait son beurre – au nom de Perrine, Alcide remarque un tic sur le beau visage d’Astrid, alors, pour chasser le tic, il précise que Perrine n’est plus crémière dans le bourg, à cause du 2m qui a tout bouffé (épisode 34), et de toute façon Perrine était bien plus âgée que moi; ces derniers mots ne font pas tiquer Astrid, mais éclater de rire, un rire assez gourmand – ah, oh, et caetera, et caetera.
La joie provoquée par l’arrivée des oies ne dura pas tout l’été, en fait elle alla decrescendo avant de remonter tout doucement. L’oie que je décidai de nommer Ma Mère, déjà j’étais friand de contes, se mit à couver rapidement, des oeufs féconds puisque Martin, je ne connais aucun jars qui se nomme autrement, ne se faisait pas prier pour faire son jars, ma chère Astrid, si tu vois ce que je veux dire – au visage qu’elle fit, Alcide vit qu’elle voyait, Astrid, elle qu’il s’était mis à tutoyer, alors qu’elle avait quand même neuf ans (9) de plus que lui – bon ça va, on a dit, lecteur moraliste! (épisode 34). Au matin de la naissance – je pus y assister, puisque je me levais aves les poules – ma joie explosa mais se tarit lorsque je découvris, en même temps que Ma Mère et ses cinq oisillons que Martin n’était plus là. Ma mère – Vera – me consola du mieux qu’elle put mais crut bon de me prévenir que dans le règne animal il arrivait assez fréquemment, trop à ses yeux, que des mâles s’enfuient à toutes pattes/jambes à l’annonce d’une nativité ou au moment de la présentation de leur progéniture – je pense d’ailleurs que dès ce jour elle se mit à me préparer à être un mâle responsable en me racontant des histoires qu’elle ne m’avait jamais racontées, histoires dans lesquelles on croisait des Narcisses, des Don Juan, un Esprit Saint; je me dis alors que j’aurais mieux fait de baptiser mon jars Joseph, mais c’était trop tard. Célestine, de son côté, entreprit pour me consoler de me raconter une belle et longue histoire, par épisodes; dans cette histoire il y avait un jars qui s’appelait Martin, lui aussi fuyait quelque chose, mais il finissait par revenir après de longs mois d’absence, et à la fin c’était une sorte de jars prodigue dont on fêtait le retour. Et comme Célestine avait le sens de la mise en scène, il y avait un épisode par jour, au pied d’un arbre différent. Ainsi l’été de mes 7 ans se passa en partie à faire le tour du verger pour le plus grand plaisir de mes soeurs et frères.»
– Tu racontes bien, Alcide, s’exclamait Astrid, ah, oh, c’est pas vrai, oh mon Dieu!
Au pied de Mirabelle, Alcide voyait qu’Astrid ne mentait pas.
– Sais-tu pourquoi je m’appelle Astrid, Alcide?
– Non.
– Parce que je suis suédoise et que mes parents ont été bercés par les histoires de Fifi Brindacier, alors ils m’ont appelée Astrid, en mémoire d’Astrid Lindgren, l’auteure de ces histoires, une femme formidable!
– Formidable! Alors tu connais aussi Nils Holgerson et Martin jars?
– Oui!
– Et si tu grimpais sur les toits avec moi, histoire de raconter des histoires aux gens strictement confinés à travers des cheminées?
– Ah, oh, c’est pas vrai, oh mon Dieu!