Plus que 365 jours… (262/365)

Novembre est une fleur flammes – XXIII

– Partons des mots que tu aimes.
– En suivant l’alphabet?
– Non, en suivant tes souvenirs.
D’un côté de la table on réfléchit, de l’autre on attend, crayon à la main. De part et d’autre il y a beaucoup de patience. Celui qui réfléchit a aussi un cahier ouvert devant lui, et un crayon posé à côté. Les mots ne viennent pas, pourtant il saisit le crayon. L’autre lui dit:
– En te voyant le crayon à la main, rien n’indique que tu ne sais pas écrire.
Il ne répond rien, regarde sa main, regarde le crayon, ne le lâche pas des yeux, réfléchit, réfléchit encore et se met à dessiner:
– Depuis tout petit j’aime grimper aux arbres, trouver mon chemin dans leurs branches. Je commençais par m’asseoir au pied d’un arbre et je le dessinais; ensuite je regardais l’arbre, je regardais le dessin de l’arbre, je traçais un chemin dans ses branches, sur la feuille, et j’essayais le chemin dans l’arbre.
L’autre écoute et note des mots, l’un sous l’autre – comme un arbre qui commencerait par le sommet – tandis qu’il continue à parler et à dessiner. Au bout d’un instant, il se tait, pose son crayon, regarde l’autre et lui demande:
– Quels mots as-tu écrits?
L’autre dit:

main
crayon
bois
dessiner
grimper
arbre
branches
tracer
chemin
feuilles
mât

Il sourit et répète les mots qu’il a entendus, mais en commençant par le dernier:

mât
feuilles
chemin
tracer
branches
arbre
grimper
dessiner
bois
crayon
main

– Tu as compris que je suis devenu marin parce que j’aimais grimper aux arbres.

Plus que 365 jours… (261/365)

Novembre est une fleur flammes – XXII

Journal des rives [extrait]
Nous sommes partis de Cologne sur le Popeye il y a deux jours, au crépuscule. Gaspard et moi sommes bouleversés par notre rencontre avec Pablo, notre capitaine et Fredo, son second.
Nous vivons une sorte d’expérience communautaire inédite, à bord chacun doit contribuer à toutes les tâches, alors chacun apprend à chacun. Gaspard et moi sommes en train de devenir marins d’eau douce, rude apprentissage, mais si beau! Pablo apprend à dompter la rage qui l’habite en couchant son histoire sur du papier, aidé par Gaspard et moi; Fredo apprend à lire et à écrire, tour à tour avec Gaspard, Pablo et moi.
Chaque jour qui passe nous rend meilleurs, nous voguons de conserve avec la Terre, tout ça me donne le tournis, je n’avais jamais rêvé de si belle aventure!

Plus que 365 jours… (260/365)

Novembre est une fleur flammes – XXI

sur un morceau de papier…

dormir dehors habillé le petit sac en guise d’oreiller
se lever très tôt
marcher jusqu’à l’autre gare
y jouir du spectacle
monter dans le train
un petit quatre-heures
descendre à lumières
marcher aux muses sans entrer dans musées
monter dans le train train
une grosse sieste
descendre à bidasse
monter dans le train train train
dormir ou pas
se lever très tôt
guetter les étincelles
descendre sans se jeter dans le feu
rester longtemps

Plus que 365 jours… (259/365)

Novembre est une fleur flammes – XX

Les Yeux Fertiles ferment à huit heures mais il est rare que les lumières s’éteignent à cette heure-là, même si aucune soirée thématique n’est prévue.

Ce soir-là, Paola et Fernando assurent le service du bar. Mathilde arrive  peu avant huit heures, au moment où les derniers buveurs s’en vont. Tandis que l’on débarrasse les tables et que l’on entame la vaisselle, Mathilde commence à griller des châtaignes dans une poêle électrique qu’elle a installée sur le bar; les fruits ne doivent pas être remués sans cesse, alors elle a le temps de disposer des fromages sur une planche, de déboucher du vin et de faire infuser un chaï bien épicé.
Les fumets se diffusent dans tous les coins et recoins des Yeux Fertiles, alors on cesse le travail en cours et l’on se dirige vers le bar autour duquel Fernando dispose de grands tabourets. Pierre arrive le premier, mettre au net ses notes sur sa vieille Hermès dans le coin le plus retiré de la librairie-café-atelier lui a ouvert l’appétit. Il est rapidement rejoint par Fatou, Jenna, Kira et Hélène qui ont du mal à résister à la senteur et aux craquements des châtaignes, malgré la musique du métier à tisser et les odeurs de laine; mais il y a un temps pour tout. Chacun sait que Marguerite est dans le coin des livres, mais on ne la dérange pas, elle parle avec une femme que personne ne connaît, une conversation feutrée devant un livre ouvert. Le tintement des verres tire les deux femmes de leur bulle, comme une clochette qui inviterait à tourner la page. Les deux femmes s’approchent:
– Les amis, je vous présente Linda, nous étions plongées dans le noir de Train de nuit pour Lisbonne.
La femme semble à la fois gênée et touchée d’être acceptée dans le cercle de ceux qui ont le droit de rester après la fermeture; elle accepte le verre qu’on lui tend, le fait tinter contre tous les autres verres, boit une gorgée, regarde chaque visage et prend la parole:
– Ne croyez pas que je suis une bonne lectrice, dit-elle en montrant le pavé posé sur le bar, c’est tout le contraire. J’ai suivi toutes mes classes ici, j’ai eu mon certificat, je suis entrée dans le monde du travail et on ne m’a plus jamais demandé de penser, ni de faire quoi que ce soit que l’on faisait à l’école, juste travailler le plus vite possible et obéir. J’ai peu à peu désappris à lire, à calculer, à comprendre. Pour les  papiers, les impôts et tout ce qu’on doit faire, j’ai toujours trouvé de l’aide dans la communauté, mais maintenant je veux sortir de mon enfermement – l’appartement, l’usine, le magasin et le cercle portugais. Le métier à tisser a attiré mon regard de l’autre côté de la vitrine, j’ai poussé la porte, Marguerite m’a accueillie et avec elle je réapprends à  lire, je ne suis pas analphabète, mais illettrée, dans mes deux langues. Je ne vous connais pas et je n’aimerais pas que vous me preniez pour une femme que je ne suis pas.
Personne n’ose ajouter un mot, on a le souffle coupé par tant de franchise, par tant de confiance placée en des inconnus. Marguerite passe son bras autour de l’épaule de Linda, les tabourets bougent et les deux femmes manquent de tomber. Stupeur puis soulagement, déséquilibre, équilibre, rires, verres qui tintent.
– J’ai proposé à Linda d’apprivoiser les mots dans ce beau roman à cheval entre deux cultures, comme elle. Fernando, nous aideras-tu à traduire des passages en portugais?
Fernando, lui aussi, manque de chuter de son tabouret, mais il se rétablit de justesse et attrape le livre sur le bar. Il l’ouvre à la première page et se met à traduire, phrase après phrase; il lit la phrase en français puis la traduit en portugais; lorsqu’il lit il ne quitte pas le livre des yeux, lorsqu’il traduit il ne quitte pas Linda des yeux.

Les plus belles nuits sont souvent celles dont le thème n’est pas connu à l’avance.
As noites mais bonitas são muitas vezes aquelas cujo tema não é conhecido com antecedência.

Plus que 365 jours… (258/365)

Novembre est une fleur flammes – XIX

Jan, mon cher Cousin,
Merci de m’avoir une fois de plus offert l’hospitalité, ainsi qu’à Heinrika; elle a été très touchée par tes mots et par ton accueil, pourtant virtuel. Nous n’avons passé qu’une nuit chez toi car le Rhin nous appelle; nous embarquons ce soir pour Amsterdam, mais nous ne savons pas exactement où nous mènera cette navigation, nous appareillons avec deux drôles de zigues dont un capitaine, mais nous ne craignons rien, il nous a été recommandé par un autre capitaine, très humain, rencontré à Bonn.
Merci pour les bières! On n’a pas touché au Sinalco, on en avait aussi amené une bouteille! mais on a emporté le pot de Marmite, Heinrika adore! On t’a naturellement laissé un pot de Cenovis, mais aussi des barres Ovo et du Chocmel.
Embrasse de notre part ta mère, ma chère tante, et tes soeurs, mes deux allemandes préférées!

Et nous, on t’embrasse!
Gaspard et Heinrika

Plus que 365 jours… (257/365)

Novembre est une fleur flammes – XVIII

A l’ouest du Rhin on se penche aussi sur des cahiers mais on est plus nombreux et les tables sont plus petites que celle de la cabine-séjour du Popeye.

Le coin bistrot – ou café, comme on voudra – n’a pas encore été officiellement inauguré mais déjà on lui a trouvé des usages. Plusieurs fois par semaine, un peu avant quatre heures, on voit arriver Aux Yeux Fertiles des écoliers, par petits groupes. On les accueille, ils choisissent des tartines, des fruits et des boissons qu’on a disposés pour eux sur le bar et s’installent autour des petites tables, par affinité. Le goûter pris, les sacs s’ouvrent et le travail commence, le coin bistrot devient salle d’étude. On y garantit une atmosphère sereine pour travailler, de l’aide, de l’entraide, des conseils. Quelques bénévoles assurent le fonctionnement du lieu, discrètement, efficacement, selon un tournus hebdomadaire; des retraités, des étudiants, quelques profs.
Lorsque les plus jeunes sont au travail, les plus grands arrivent progressivement – collégiens, gymnasiens, apprentis – et s’installent aux places qu’on leur a laissées; les bénévoles veillent à ce qu’il reste des places à chaque table – des tables de deux à six places – afin de favoriser le mélange, l’échange et la collaboration. Certains grands commencent par regarder ce que font les petits, les encouragent, leur montrent un truc ou une astuce; on entend parfois des phrases dans d’autres langues que le français, -oui, les filles peuvent faire tous les métiers, je le dirai à tes parents, -bosse ton voc. et inscris-toi en bilingue, c’est génial de quitter ses parents quelques mois; on sent bien que quelques phrases relèvent aussi de l’auto-encouragement, pas facile de se mettre à étudier après une journée de travail,  quand la nuit arrive et avec elle le froid, pourtant les grands ont aussi droit au goûter. Certains petits attendent avec impatience l’arrivée des grands – Clément aime bien que Pascale corrige ses exercices de math, elle est patiente, explique bien et ses yeux sont si beaux. Puis les petits partent un à un, parfois par deux, on vient les chercher ou ils s’en vont tout seul par les rues éclairées. Les tables ont des trous, le climat est de plus en plus studieux. Entre six et sept heures l’ambiance change peu à peu; des grands s’en vont, d’autres rangent leurs affaires et vont chercher une bière au bar, on recommence à entendre des conversations plus animées, plus fortes, des gens entrent, des gens sortent, des groupes se font, d’autres se défont, c’est l’heure de l’apéro.
Les Yeux Fertiles ferment à huit heures, sauf les soirées à thème: lectures publiques, jeux de société, débats, causeries, conférences, et caetera, et caetera. Ces soirées-là se terminent souvent à point d’heure.

 

Plus que 365 jours… (256/365)

Novembre est une fleur flammes – XVII

Le premier fragment (A1) est donc tiré d’un cahier qui vogue sur le Rhin, avec un bateau.

Ils n’ont eu aucune peine à trouver Le Popeye dans le port de Cologne, un navire pourtant miniature – deux ponts et six cabines. Dès l’entrée des bassins leur regard est attiré par un fougueux bateau rouge et noir tendant désespérément ses amarres, comme un vigoureux terre-neuve tirerait sur sa laisse pour sauter à l’eau. Deux hommes sont en train de charger le bateau, ils s’approchent; celui qui ressemble à un capitaine – il est de méchante humeur – le dévisage et demande rudement:
– C’est vous Gaspard?
– Oui, fait-il.
– C’est le moment, on va appareiller, je ne vous attendais plus! Et vous allez faire quoi à Amsterdam?
Il ne sait que répondre et se demande comment dire qu’il doit encore repasser dans un appartement, refaire un lit et rendre des clés à un cafetier turc. Sans le savoir, l’autre homme fait paratonnerre:
– Mais Pablo, j’vais au dentiste, tu sais bien, on avait dit qu’on larguait au crépuscule, portés par la brise du soir, les cordages.
– Fredo, tu es vraiment un bachibouzouk analphabète asyntactique! s’entend-il répondre.
Il va continuer à gueuler – sans doute des trucs du genre mille millions de mille sabords, bougre de faux jeton à la sauce tartare, coloquinte à la graisse de hérisson, espèce de mérinos mal peigné, Cyrano à quatre pattes, zouave interplanétaire, ectoplasme à roulettes, bougre d’extrait de cornichon, jus de poubelle, et caetera, et caetera – mais il aperçoit enfin Heinrika, s’approche, s’incline pour le baise-main, se redresse et dit avec cérémonie:
– Mes hommages, Bianca!
– Heinrika! s’entend-il répondre.
Ils aident à finir de charger et se retrouvent à bord. Ils s’installent dans leur cabine, sur le pont supérieur, et redescendent. Sur le pont inférieur se trouve une grande cabine qui fait office de séjour-cuisine. Après le lunch, Fredo prend un des vélos accrochés au bastingage et s’éloigne en disant j’file au dentiste –bachibouzouk analphabète asyntactique! s’entend-il répondre. Le capitaine s’excuse et explique à H&G que Fredo, il ne sait ni lire ni écrire, s’exprime bizarrement mais se paie des dents en or, par vice ou peut-être pour compenser un manque de l’enfance, et que ça l’énerve ce truc de nouveau riche dans la bouche de ce faux Cyrano. Tandis que le capitaine – que nous appellerons dorénavant Pablo – recharge sa vapoteuse pour finir de se calmer, Heinrika fait comprendre à Gaspard qu’elle s’occupe de Pablo pendant que lui va aux clefs. Gaspard décroche alors la deuxième bicyclette et file direction le quartier belge. Pablo interroge Heinrika du regard, elle lui répond:
– Des fois il se prend pour Poulidor, son vice à lui c’est l’argent, un truc lié à l’enfance.

Lorsque Gaspard revient, le bateau ne vogue toujours pas; il trouve Heinrika et Pablo penchés sur un cahier, à la grande table de la cabine-séjour; il leur demande si Fredo est déjà arrivé.
On ne lui répond rien, le silence est d’or.

Plus que 365 jours… (255/365)

Novembre est une fleur flammes – XVI

Le second fragment (A2) est tiré d’un cahier qui se trouve dans un tiroir Aux Yeux Fertiles. Ce cahier appartient à Pierre, il le range dans le petit bureau qui se trouve dans le coin le plus intime de l’ancienne librairie en train de s’enrichir de nouveaux coins.

Côté rue, on aperçoit par la première vitrine un métier à tisser au milieu d’un espace qui semble être un atelier en cours d’installation. Par la seconde vitrine on aperçoit un coin bisrot, quelques tables et des chaises. Entre les deux vitrines se trouve une porte qui permet d’accéder à ces deux espaces depuis la rue. Le coin bistrot est le plus éclairé du lieu, grâce à une troisième vitrine qui fait angle droit avec la seconde; dans cet angle on trouve une seconde porte, côté placette. Par la quatrième vitrine, qui prolonge la troisième, on aperçoit le coin librairie; beaucoup moins de livres qu’avant, beaucoup moins de sujets, mais un choix pointu de références dans quelques domaines en lien avec l’association Vivre ici. Au bout de la quatrième vitrine il y a une porte, la troisième, qui donne directement accès aux livres depuis la placette. Le coin des livres est une sorte de carré dont les quatre côtés sont de nature différente: un bar en bois – qui sépare les livres et les tables –, une vitrine, un mur, une rangée de bibliothèques collées les unes aux autres, sauf deux qui sont écartées d’un mètre environ, ménageant un passage vers le coin le plus intime du lieu, un coin borgne, avec tapis, lampes, canapés, fauteuils et deux chaises autour d’un petit bureau. C’est dans ce coin que Pierre recueille des récits de vie.
On a beau inventer des protocoles rigoureux, il en sort toujours quelque chose d’imprévu; les ateliers cuisine et migration ont débuté en août, et déjà ils ont fait des petits; pour différentes raisons, plusieurs personnes ont demandé à Pierre de recueillir des épisodes de leur vie: il y a celles et ceux qui ne veulent parler qu’entre quatre yeux, ou qui ne cuisinent pas, ou qui ne sont pas liés à la migration, et caetera, et caetera. Alors on a créé ce lieu intime, cet sorte de salon-boudoir dans lequel Pierre officie comme écrivain public et accoucheur d’histoires, Pierre et Marguerite, devrait-on dire, pour s’approcher au plus près de la vérité.

Le premier fragment (A1) est tiré d’un cahier qui vogue sur le Rhin, avec un bateau.

Plus que 365 jours… (254/365)

Novembre est une fleur flammes – XV

Arrivées…

A1
On appelait ce lieu la brise, car il était plein de courants d’air, mais on se tenait chaud, humainement parlant. C’est qu’on avait été passablement refroidi à notre arrivée, au sens figuré. Là-bas on nous avait parlé de bons emplois, de bons logements, on nous avait dit qu’ici on aimait mieux les Espagnols, mieux éduqués que les ltaliens, plus courageux aussi, ils osaient tenir tête à Franco. On a découvert que les emplois étaient durs, que les bons logements avaient un prix plus élevé que nos salaires et que les gens détestaient les Italiens, alors aimer plus les Espagnols, on a vite compris ce que cela voulait dire! Ceux qui n’avaient rien à craindre du Général sont très vite repartis au pays et nous on est resté comme des cons dans la brise, avec nos auréoles d’anti-franquistes qui ne nous chauffaient pas et n’éclairaient pas plus.

A2
Je suis arrivé à dix-sept ans dans un hôtel des Alpes, en plein mois de novembre. Le patron m’a pris mon passeport et m’a mis au boulot. Au bout d’une semaine j’ai craqué et j’ai voulu repartir. Le patron m’a ri au nez et m’a collé une claque, je lui ai sauté dessus, je l’ai foutu par terre, j’ai attrapé l’ouvre-lettres sur son bureau et je l’ai menacé à la gorge. Il m’a rendu mon passeport et j’ai sauté dans un train, avec l’ouvre-lettres, au cas où. J’avais l’adresse d’un cousin qui habitait ici  c’était prévu que je le voie de temps en temps –, alors je suis allé chez lui pour me retaper quelques jours avant de rentrer au pays. Il m’a convaincu de rester et m’a trouvé une place dans une imprimerie, grâce à un  Catalan. Dans ma famille on admirait Franco, mais c’est un républicain qui a fait de moi un typographe, bientôt une graine d’anarchiste…

 

Plus que 365 jours… (253/365)

Novembre est une fleur flammes – XIV

Elle sort de la salle de bain et le rejoint à la cuisine. Sur la table, du café, des tartines à la marmite, des saucisses blanches pochées et de la moutarde douce; dans la machine à laver le linge, le drap, les enfourrages et les taies. Elle ne semble pas surprise, mais il explique quand même:
– J’ai rêvé que nous étions sur un bateau et que nous écrivions avec un petit groupe de gens.
Elle répond:
– J’ai rêvé que nous admirions la cathédrale de Cologne depuis un bateau qui voguait vers le nord.
Ils déjeunent en silence, perdus dans leurs pensées, l’air comme absent. En attendant l’essorage, ils  rangent la cuisine, préparent les sacs et remettent tout en ordre.
– Trouvons Pablo, ensuite on verra.
Avant de quitter l’appartement, ils étendent la lessive sur les fils qui prennent le soleil en travers du jardin-terrasse. Heinrika a le plan dans la tête; ils trouvent sans peine l’adresse de Pablo. Sur la porte de la maisonnette, un mot de billet punaisé : Je suis au port, sur le Popeye.