Ici et là – XIV

Colombes ou corbeaux? – où l’on comprend qu’il y a quelque chose entre deux

Les gitans sont les corbeaux du ciel, tel est le titre de l’un des ouvrages d’Alexandre Romanès, homme de cirque et poète que vous connaissez peut-être. Nous, les Yéniches, on nous nomme parfois les gitans blonds; souvent nos cheveux et nos yeux sont clairs, pourtant il est rare qu’on nous accueille autrement que comme des corbeaux. Mais dans ce pays, notre pays, les cailloux sont plus feutrés que par le passé, plus de tac, tac, tac sur nos caravanes, ou si peu, mais des messages plus administratifs, plus urbains, aurait-on presque envie de dire. Urbanisation, justement. A cause d’elle, les aires de transit et de stationnement fondent comme neige au soleil, quant aux aires d’hivernage, n’en parlons même pas. Ici une route à élargir, là une zone industrielle et ses parkings exclusifs, ailleurs une école trop proche… comme si l’espace ne pouvait pas être partagé, on ne vole pas les enfants, c’est les nôtres qu’on a volés! Finalement on a bien raison de parler de distance sociale. Alors quand notre combat pour être visibles rencontre celui contre un plan de quartier, quand un privé nous accueille sur ses terres quelque temps, nous soufflons un peu, reprenons des forces et nous faisons ambassadeurs. Il n’y a pas que nos plaques minéralogiques qui sont les mêmes que les vôtres, nos papiers d’identité sont à croix blanche aussi, comme les vôtres, comme vous nous payons des impôts et remplissons nos obligations militaires, sauf qu’entre les cours de répétition nos armes sont sous clé dans les arsenaux. Nous ne sommes pas des corbeaux mais c’est vrai que parfois il serait bien tentant de revendiquer des aires Yéniches les armes à la main, quand la météo, les autorités et l’urbanisation se liguent contre nous; rideaux de pluie, règlements en cascades, flots de béton.

– Peut-être que vous devriez faire la grève de l’impôt? leur suggère-t-on timidement sous le chapiteau bleu.

– Peut-être, mais alors faites grève avec nous, leur répond-on, n’est-ce pas l’impôt communal qui finance l’étude du plan de quartier?

– C’est vrai!

A demain.