Ici et là – VIII

Des rails vers la prairie, et vice-versa – où l’on prend le temps…

Entre la ville de Mathilde et le bourg d’Alcide il y a des rails, rails qui, en quelque sorte, constituent un lien tangible entre les deux communes.
La cadence horaire ne donne pas le tournis, c’est une fois par heure, précisément. Dans le sens ville bourg, on part de la voie 1 et on arrive sur la voie 1, dans l’autre sens, bour vil – en deux mots –, on part de la voie 2 et on arrive sur la voie 4.
Le flux de voyageurs n’est pas impressionnant, mais en cette période de Grand Confinement, le personnel roulant remarque une légère augmentation, en tout cas Michel qui est sensible et contrôle souvent cette ligne. Il est frappé par ce nouveau type de passagers qu’il voit monter en ville et descendre au bourg, et vice-versa. Ils sont habillés comme les autres, appartiennent à toutes les tranches d’âges et à toutes les catégories sociales, ils portent le masque, correctement, presque paisiblement aurait-on envie de dire. C’est bien dans leur attitude qu’il y a quelque chose de particulier. Ils semblent avoir le temps, être attentifs à tout ce qui les entoure, une sorte d’empathie pour les gares, pour les gens, pour les paysages qu’ils traversent. Leurs yeux semblent dire bonjour à tout et à tout le monde, une sorte de présence joyeuse qui dit aussi la joie d’aller à la campagne ou de revenir en ville.
Il y a ce retraité qui part par le premier train; dans la gare il salue d’un signe de tête tous ceux qu’il croise – qui ne sont pas très nombreux à cette heure; dans le train il regarde le paysage religieusement, d’un côté à l’aller, de l’autre au retour. Quand Michel le voit rentrer en fin de journée, et que lui aussi descend sur ce quai car il a terminé son service, l’homme reste un moment debout sur le quai de la ville, les yeux fermés, faisant des gestes de la main et du bras gauches, comme s’il recousait les deux côtés du paysage, se dit Michel qui peut rester un moment sur le quai à le regarder discrètement, puisqu’il a terminé son service.
Il y a aussi ce groupe de femmes qui part de la ville par le train de 8h, mais jamais le même jour que le retraité. Sur le quai elles sont silencieuses, dans le train elles échangent quelques mots à peine audibles, comme pour ne pas oublier un programme; elles aussi boivent le paysage, deux d’un côté, deux de l’autre, derrière leur masque.

A demain, au train de 23h et quelques minutes…