J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 52/x

Épisode 52
FRAGMENTS – III

(sans titre)
Ce matin, le circonflexe est là, majestueux, avec, à sa gauche, une sorte de nuage-fil, un trait d’union éphémère qui le relie à sa voisine bleue, le Pic de la Corne. Soudain, le paysage s’anime et je vois gambader des chèvres, sauf la blanche qui reste accrochée à son Pic, sans doute celle de Monsieur Seguin.

(sans titre)
Ça ressemble à l’autre jour – le jour où la dent d’Oche avait la tête dans les nuages – et ça ne ressemble pas, les deux en même temps.
On ne voit pas les Muverans. Là où le lac se resserre – on dirait presque qu’il se ferme –, vers l’embouchure, l’horizon est barré de nuages déguisés en glacier; on dirait des séracs, mais en plus rond, prêts à se jeter dans le lac pour adoucir une canicule.
Plus à l’est, on ne voit pas grand-chose; toutes les têtes qui dépassent sont dans les nuages – ça doit être pour ça que, dans ce pays, on n’aime pas les têtes qui dépassent –, on ne voit que les autres, celles qui ne dépassent pas.
Plus loin, le Salève fait toujours le gros dos, sans son jet – on n’aime pas les têtes qui dépassent –, face au Jura qui est perplexe, comme un caillou posé sur une feuille, façon presse-papier. La feuille est immobile, verte et lisse, pas la moindre ride; je la préfère quand elle danse et m’invite dans ses vagues.

(Adieu, les nuages)
Ciel bleu, légèrement brumeux, petite brise, toute petite. Quand la brume sera levée, le bleu sera pétant, très sûr de lui, trop sûr de lui, façon carte postale – Monsieur le Directeur, je ne remonterai pas le Rhône pour vous présenter ma démission, elle s’appelle Mireille, habite Arles et a de très beaux yeux… Il faut savoir que les Muverans existent, tant ils sont voilés, eux et toute leur chaîne. De petits cumulus s’étirent entre les Jumelles et la Dent d’Oche, juste pour souligner le ciel. On ne souligne pas le ciel! souffle la brise que se fait vent pour les pousser au soleil qui n’en fait qu’un pchitt.

(Adieu, algues et nuages)
Aujourd’hui, j’arrive en même temps que la faucardeuse. Une de ses collègues a déjà dû passer dans le ciel, pas une trace, rien, les montagnes son nettes, on voit même les Muverans, le Grand et le Petit, qui se donnent la main pour sauter dans le lac, sous le regard attendri du Mont Crémeux, si onctueux ce matin.

(sans titre)
Pas de Muverans, ce matin, à moins que ce soit cette ligne ténue que je crois apercevoir dans le contre-jour, juste derrière la brume.