J’ai eu 20 ans l’année du Grand Confinement – épisode 51/x

Épisode 51
FRAGMENTS – II

(sans titre)
La Dent d’Oche n’est pas encore levée, elle a la tête dans un épais coussin qui va du gris bleu au blanc crème. On voit la plupart de ses voisins, qui sont moins élevés – vus d’ici en tout cas –, ces sommets sont sous le traversin, pour l’instant, car il commence à se déchirer et des lambeaux descendent pour envelopper de nouvelles têtes; alors ces sommets ne sont plus des sommets – ils sont là mais cachés –, les montagnes étêtées forment une masse uniforme, l’horizon devient une barre bicolore – les bleus des roches et les blancs des nuages – et à ses pieds, tout agité, le lac danse dans les verts.

Plus tard, je lève un instant les yeux de mon livre – je suis plongée dans l’extraordinaire Swift – et j’imagine les mains d’un géant invisible qui a rassemblé d’un coup tous les nuages entre le Grammont et le Mont Ouzon, il a dû serrer très fort car ils forment des couches verticales collées les unes aux autres, des sortes de dominos arrondis posés sur les montagnes anguleuses nées des forces tectoniques qui, comme un géant invisible, soulèvent des couches horizontales, les plissent et les serrent comme des poissons en conserve, sauf que la boîte serait debout.

Et le lac danse toujours, plus vert que jamais, par-dessus lui il y a les dominos des montagnes, anguleux, par-dessus eux il y a les dominos arrondis des nuages, agencés comme une barbe à papa, sauf qu’elle serait couchée et pas debout sur sa baguette.